Buller avec Picasso

Si vous ne savez quoi faire ce week-end, n’hésitez pas à visiter l’exposition que le musée Picasso consacre aux liens que le peintre espagnol a entretenu sa vie durant avec la bande dessinée. L’œuvre de Picasso témoigne de son appétit pour la caricature et pour l’illustration. Il y introduit également des techniques issues du 9^e art, comme l’insertion de paroles reliées à un personnage et s’est même essayé à quelques planches, Songe et Mensonge de Franco (1937), présentées exceptionnellement ici. L’exposition parisienne est la première à mettre en avant l’influence de la bande dessinée sur le peintre. Elle montre aussi combien l’artiste occupe une place prépondérante dans ce médium – en étant directement représenté comme personnage, à travers la représentation directe de ses œuvres ou en tant qu’influence graphique. 

Picasso Pablo, grand amateur de bande-dessinée

Picasso né en 1881 est un contemporain des premières bandes dessinées américaines. Lecteur passionné, il se les fait expédier par ses amies, la collectionneuse Gertrude Stein et sa compagne Alice Toklas – notamment The Katzenjammer Kids (en français Pim Pam Poum) et Little Jimmy. Présents dans certaines de ses toiles, les quotidiens sont alors le vecteur de cette culture populaire (et l’une des principales raisons de leur succès), qui séduit Picasso. Car la bande dessinée participe de la subversion des formes académiques que le peintre aime à incarner.

La BD, une inspiration pour Picasso

Picasso a pourtant rarement pratiqué le découpage par case, à l’exception d’une œuvre marquante, Songe et Mensonge de Franco. Ces deux planches réalisées en 1937 représentent le dictateur en monstre bouffon s’emparant du pouvoir en Espagne. Elles évoquent Goya par le trait mais empruntent la technique du séquençage qui caractérise la bande dessinée. « Art séquentiel », voici en effet la définition qu’en donne Scott McCloud, auteur du précis de bande dessinée en bande dessinée L’Art invisible. Comprendre la bande dessinée (1992 ; trad. fr. Delcourt, 1999). Mais la bande dessinée repose aussi et surtout sur l’invention d’un vocabulaire visuel capable d’amplifier la signification et de tendre vers l’abstraction, sur la capacité à manifester « une puissance cachée » en condensant dans une image plusieurs états du temps et de l’espace. « Depuis  son origine, écrit McCloud, la bande dessinée moderne s’est attaquée au problème de la représentation du mouvement dans un dessin qui ne bouge pas. Comment montrer cet aspect du temps dans un art où le temps reste immobile ? » Une question partagée par les cubistes et Picasso, qui synthétise sur une même toile plusieurs perspectives comme autant de séquences et parvient finalement à déployer le temps en fonction de l’espace.

Les traces de Picasso dans la BD contemporaine

L’exposition montre ainsi la résonance entre l’univers du peintre et celui de la bande dessinée. Au sous-sol du musée, où débute la visite, de grandes fresques ont été commandées à des dessinateurs contemporains, s’inspirant tantôt des œuvres, tantôt du style du maître andalou. En poursuivant à l’étage, ce sont les œuvres du peintre qui sont mises en regard avec des planches d’Hergé, d’Edgar P. Jacobs, de Milo Manara ou d’Enki Bilal… tous en ayant fait un personnage type, voire une incarnation de la modernité artistique. Un portrait de Dora Maar est accroché, auquel répond par exemple une variation d’Art Spiegelman. C’est donc une nouvelle perspective sur l’œuvre pourtant bien connue du peintre que nous propose le musée Picasso.

Picasso et la bande dessinée, exposition au musée Picasso (5, rue de Thorigny, 75003 Paris), jusqu'au 3 janvier 2021.
En partenariat avec Philosophie magazine.