Boris Johnson, quand le “bouffon” ne fait plus illusion

Fin de « party » pour Boris Johnson. Jeudi 7 juillet, le Premier ministre britannique a annoncé qu’il quitterait le pouvoir, acculé après la démission de dizaines de responsables du Parti conservateur, dont cinq ministres. En cause : de multiples scandales, dont des fêtes organisées pendant le Covid et la nomination de dirigeants accusés d’agression sexuelle.

Boris Johnson s’était fait élire sur sa personnalité forte et excentrique, jouant les pitres et faisant mine de produire un discours de vérité – alors qu’il a très souvent menti. Preuve qu’au pays de Shakespeare, jouer au fool (au « fou ») suppose d’en respecter l’état d’esprit, et pas seulement les gesticulations. Mais comment distinguer précisément le bon pitre du mauvais pitre ?

• Cheveux en bataille, air dégingandé, verbe fleuri, Boris Johnson a usé de son image de pitre pour se faire élire. Bien qu’il ait étudié à Eton et Oxford, des établissements très prestigieux et comme-il-faut, le conservateur Boris Johnson a toujours préféré se montrer sous un jour extravagant voire provocateur, sans doute pour assurer aux électeurs qu’il était resté un homme spontané et naturel. Lorsqu’en 2012, tandis qu’il était maire de Londres et en tournée promotionnelle pour les Jeux olympiques, « BoJo » s’était retrouvé suspendu à un câble telle une marionnette avec un casque bleu ridicule sur la tête et un Union Jack dans chaque main, il avait alors semblé plus ravi que honteux. Jouer au pitre semblait l’enchanter, et ses farces régulières ont même fini par le conduire au 10, Downing Street. Emmanuel Macron lui-même s’est depuis permis de le comparer à un « clown ». Un bouffon sur la forme, peut-être. Mais sur le fond ? Pas si sûr…
• Qu’est-ce qu’un « bouffon » ? Aujourd’hui, ce mot est devenu une douce insulte. Mais au Moyen Âge, il qualifiait un personnage tout à fait essentiel, très bien dépeint par Shakespeare. Le « bouffon du roi » était l’amuseur de la galerie, un conteur subtil dont le rôle était de dire leurs quatre vérités au roi et à sa cour, tout en faisant mine de raconter n’importe quoi – d’avoir perdu la raison. En anglais, on parle de fool, de « fou du roi ». L’un des « fous » les plus célèbres de la littérature est celui du Roi Lear (écrit vers 1605), qui accompagne le souverain tout au long de la pièce, d’abord sur le mode comique, tournant en dérision ses malheurs, puis de manière réellement inquiétante. Homme de vérité, maniant l’ironie et le sarcasme, le fou n’a de cesse de montrer au souverain l’absurdité de la vie et sa folie, épinglant les mauvais choix qu’il opère et les leurres auxquels il croit, à commencer par celui de maîtriser le cours des choses. La folie apparente du fool en fait un être de sagesse, à la fois impuissant – car jamais dans l’action – et invulnérable, hors d’atteinte.
• Boris Johnson avait peut-être l’air d’un bouffon, mais il est l’inverse d’un tel « fou ». Si l’ancien Premier ministre britannique a multiplié les pitreries, ce n’était jamais pour montrer la vanité du pouvoir (sinon, il ne l’aurait pas convoité !) mais au contraire, pour profiter de sa position tout en trompant les électeurs. L’homme politique a en effet menti à de nombreuses reprises au cours de sa carrière : ses éditos pro-Brexit (lorsqu’il était journaliste) étaient truffés de fake news, il a nié pendant des semaines avoir enfreint le règlement pendant le confinement en organisant des soirées privées, et aujourd’hui, il est forcé de reconnaître avoir nommé un homme accusé d’agression sexuelle alors qu’il avait été informé de ses agissements en 2019. Du personnage du fool, Boris Johnson n’avait que les oripeaux, la verve décomplexée et le relâchement gênant. Nullement l'amour de la vérité. Ne reste désormais qu’à espérer une chose : que sa démission n’ait pas d’incidence forte sur le sort de la guerre en Ukraine, un dossier dans lequel il s’était fortement, et pour une fois sincèrement, impliqué. Qui donc le roi qui se prenait pour un fou entraînera-t-il dans sa chute ?