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Margot Robbie dans “Barbie” (Greta Gerwig, 2023) / Catherine Deneuve dans “Bernadette” (Léa Domenach, 2023). © Warner Bros

Cinéma

“Bernadette” est la nouvelle Barbie (à la française)

Frédéric Manzini publié le 05 octobre 2023 5 min

Quel est le point commun entre Bernadette Chirac et la poupée de plastique fabriquée par Mattel ? Pas grand-chose en apparence. Mais dans leur version cinématographique, les films Bernadette et Barbie partagent la volonté d’ériger leurs héroïnes respectives en icônes féministes inattendues, prêtes à se venger de l’idée qu’on se fait d’elles – le tout dans une esthétique rose bonbon. Sommes-nous toutes et tous des Bernadettes ?


 

Durant les années 1990 et 2000, les Guignols de l’info se sont très régulièrement moqués de Bernadette Chirac. Ou plutôt du personnage qu’ils ont créé, cette « Bernadette » qui, surnommée « Maman » par son mari-enfant, incarnait surtout l’archétype de la très vieille France cramponnée à ses valeurs traditionnelles comme au sac à main et au carré Hermès qui ne la quittaient jamais, affichant partout une bigoterie que laissait déjà présager son prénom de sainte et un caractère revêche qui faisait contraste avec la jovialité sympathique du bon vivant affiché qu’était Jacques,

Les vrais guignols et la fausse mémère

Autres temps, autres mœurs. Et l’heure de la revanche médiatique semble avoir sonné. Même si Bernadette Chirac n’est pas morte, vive Bernadette, celle de 2023, une Bernadette improbable, métamorphosée, réinventée par la magie de la bonne fée cinéma ! Il faut reconnaître qu’à l’inverse du modèle vivant dont elle est très librement inspirée, cette Bernadette-ci dépote, loin des préjugés qu’on avait pu nourrir au sujet de l’autre (en réalité surnommée par Jacques « la Tortue »). Léa Domenach, la réalisatrice du film, avoue en effet avoir été choquée par le caractère ouvertement misogyne de la caricature ridicule qui en avait été donnée à l’époque des Guignols de l’info, et avoir pris un malin plaisir à les renverser. Sa Bernadette à elle n’en est que plus désopilante : dans cette comédie loufoque, on ne rit pas de Bernadette mais plutôt avec elle. Sans rien cacher de sa foi catholique ou de ses ascendances aristocratiques, le film la montre vive, intelligente, forte, intuitive, incisive, et dotée d’un franc-parler qui ne sacrifie rien à l’élégance. Et ce sont les hommes – presque tous, de Jacques Chirac à Dominique de Villepin en passant par Nicolas Sarkozy et les autres cadors du RPR – qui en prennent sévèrement pour leur grade. Arrogants mais vite dépassés, grossiers mais peu professionnels et tout aussi incapables de sentir la montée du Front national en 1997 que de voir en en Bernadette autre chose qu’une mémère dépourvue de tout sens politique (dont ils se croient les seuls détenteurs), ce sont eux les seuls vrais guignols. « Mon mari ne me prend pas au sérieux », déplore la Bernadette incarnée par Catherine Deneuve dans le film.

Un refus de se soumettre

Résignée ? Certainement pas. Rabrouant les uns et les autres, elle ne va pas tarder à se faire respecter et prendre des initiatives dont ni le président ni son entourage ne la croyait capable. C’est le parti pris audacieux du film : se servir de Bernadette Chirac pour dénoncer la médiocrité masculine et venger la cause des femmes, il fallait oser… Pourtant, le pari est largement réussi. C’est que notre Bernadette nationale fonctionne de manière analogue au récent film américain de Greta Gerwig, Barbie. Dans les deux cas, les réalisatrices usent de l’humour et du rose pour casser les codes en choisissant comme héroïnes des femmes-clichés, ou des clichés de femme, autrement dit des stéréotypes : une poupée en minijupe sexy d’un côté, et de l’autre une mémère dont l’inamovible tailleur Chanel descend sagement sous le genou. Pas plus que Barbie n’entend cependant retourner dans sa boîte d’emballage, Bernadette ne se satisfait de la fonction qui lui a été assignée. Toutes deux apprennent progressivement à ne plus jouer le rôle d’objet. Chacune à leur manière, les deux personnages de femmes dépossédées de leur liberté se rebellent, prennent leur destin en main, sans en demander la permission.

Ni fétiche ni potiche

Mais ce n’est pas tout. Dans les deux cas, le spectateur se surprend à entrer en empathie et à s’identifier à celle qu’il avait tendance à ne regarder que de l’extérieur, sans jamais se mettre à les considérer autrement que comme un objet ou une « femme de », c’est-à-dire un fétiche ou une potiche. Et le spectateur, autant amusé que surpris, d’y voir un flagrant délit de ce que Jean-Paul Sartre appelle le processus d’« objectivation », de « réification » ou de « chosification » : que nous le voulions ou non en effet, nous formulons des jugements simplificateurs les uns sur les autres, que nous avons tendance à enfermer dans des personnages figés qui ne correspondent pas à la complexité des êtres humains. Nous en faisons des « choses » en oblitérant toutes les richesses qu’ils recèlent et les multiples possibilités d’être autre – autre chose ? – que ce que ces étiquettes nous en donnent à penser. Or la force de l’art, et notamment de la littérature et du cinéma, repose sur cette capacité à permettre un tel décentrement en faisant voir au spectateur un point de vue qu’il ne peut guère adopter de lui-même, et de reconstituer un monde auquel il n’a pas accès. De permettre, ou plutôt de provoquer, voire de contraindre : le spectateur est conduit à faire retour sur lui-même et à prendre conscience de ses propres jugements en l’interrogeant sur le regard qu’il portait, en l’occurrence sur ces femmes. N’a-t-il pas été abusé lui aussi, ou plus exactement, n’a-t-il pas lui-même participé à fabriquer leurs caricatures ? Car nous sommes tous victimes autant que coupables quand le simple fait de véhiculer de tels stéréotypes revient à les renforcer. En l’espèce, le paradoxe veut que ce soit ainsi un rôle de fiction qui réussisse à dénoncer le rôle bien réel – mais finalement tout aussi figé, voire davantage encore – qui est celui, non officiel, de la « première dame ». La vraie Bernadette Chirac, qui pour l’heure n’a pas réagi à la sortie du film, n’en demandait pas tant. Il faut un personnage pour nous faire entrer dans quelque chose comme une subjectivité et nous faire comprendre une vie intérieure, et la rendre humaine.

Une nouvelle icône féministe ?

Humaine et féministe donc, indissociablement, dans sa manière d’être libre. Pour paraphraser Simone de Beauvoir dans Le Deuxième Sexe (1949), on pourrait dire que « [Barbie et Bernadette] refuse[nt] d’être l’Autre, refuse[nt] la complicité avec l’homme » et prennent leur responsabilité existentielle en décidant de ne pas entrer dans un moule de rôle genré. Au même titre que Barbie, Bernadette devient donc paradoxalement cette figure de l’« empuissancement » féminin dans un milieu politique particulièrement marqué par la misogynie patriarcale. Et que le portrait soit fidèle ou non à la réalité n’a pas tellement d’importance, puisqu’il ne s’agit ni de faire un biopic historiquement exact ni une hagiographie de sainte Bernadette victime d’un affreux mari volage et borné, mais plutôt de déconstruire des clichés et complexifier notre perception de ce que peut être un couple, a fortiori un couple présidentiel.

Est-ce que ce sera suffisant pour faire de Bernadette Chirac une nouvelle égérie du féminisme ? Entendra-t-on bientôt des slogans « Je suis Bernadette » dans la rue et verra-t-on fleurir des produits dérivés à son effigie ? Peut-être pas. Mais en attendant, le film nous aura fait rire, nous aura surpris, et aura peut-être changé notre lecture de la vie politique.

 

Bernadette, de Léa Domenach, avec Catherine Deneuve, Denis Podalydès et Michel Vuillermoz, est actuellement en salles.

À lire aussi : “Barbie”, le joujou pseudo-féministe du géant Mattel
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