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Marina Foïs et Fabrice Eboué dans “Barbaque”. © Cinéfrance Studios

À table !

“Barbaque” : le cannibalisme à l’heure du véganisme

Ariane Nicolas publié le 13 novembre 2021 4 min

« Et si l’on montait un élevage de végans ? » Sophie Pascal (Marina Foïs) est une commerçante pleine d’idées. Pour sauver la boucherie artisanale qu’elle tient avec son mari Vincent (Fabrice Éboué), et très échaudée après une attaque d’antispécistes contre leur boutique, elle propose de se mettre à… vendre de la viande d’humains végans. « Après tout, ce sont des herbivores », ironise-t-elle, avec un air légèrement psychopathe.

Le scénario du film Barbaque, de Fabrice Éboué, cultive l’humour noir pour critiquer la montée en puissance du militantisme végan. Mais il pose aussi une question plus profonde : où commence le cannibalisme ? Il y a vingt-cinq ans, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss y répondait de manière inattendue. 

 

  • En tuant des individus végans et en vendant leur viande sous le nom ironique de « porc d’Iran », le couple de Barbaque veut faire d’une pierre deux coups : sauver sa boucherie, puisque la chair de ces herbivores humains s’avère délicieuse et très populaire auprès des clients ; et, en éliminant les végans un à un, débarrasser la région de militants qui mettent en danger la filière viande – au point parfois d’attaquer des boucheries ou des élevages. Le film prend un malin plaisir à montrer des scènes de cannibalisme, que celui-ci soit assumé (par les deux bouchers) ou commis de manière involontaire (par les clients). On rit avec gêne, mais aussi curiosité : et si la viande humaine était effectivement meilleure qu’un bon poulet rôti ?
  • Le cannibalisme a longuement été associé à la barbarie. Barbaque joue d’ailleurs avec cette idée, dans la consonance même du mot : le barbare serait celui qui mangerait de la barbaque… Nous pensions qu’avec la disparition de l’anthropophagie sur la Terre, cette assimilation entre le barbare et le cannibale aurait disparu. Eh bien non. Certains militants animalistes reconduisent cette partition culinaire entre « civilisés » et « barbares » supposés, avec la consommation de viande comme critère discriminant. Manger de la viande serait une forme contemporaine de cannibalisme. Comment justifient-ils leur position ? Une réponse se trouve dans un texte de Claude Lévi-Strauss.
  • Dans le recueil d’articles Nous sommes tous des cannibales, l’anthropologue affirme que dans certaines sociétés premières, le cannibalisme va au-delà de l’ingestion de chair humaine : « Ces peuples humanisent la relation entre le chasseur ou le pêcheur et sa proie, en la concevant sur le modèle d’une relation de parenté […] La chasse et la pêche apparaissent ainsi comme un genre d’endo-cannibalisme. » Le chasseur sait qu’il va manger, symboliquement, son oncle ou sa belle-sœur, sans y trouver à redire. Non sans provocation, Lévi-Strauss compare ces sociétés aux nôtres. Il assure que nous pratiquons déjà une forme de cannibalisme car les animaux consommés pour leur viande sont issus, selon lui, de « laboratoires nutritifs » : les bêtes sont fabriquées et transformées par les humains, à tel point que les consommer reviendrait à pratiquer une forme de « cannibalisme élargi ». Autrement dit, pour être qualifié de cannibale, il ne suffirait plus de manger de la viande humaine, mais de la viande « humanisée ».
  • Ce texte de Lévi-Strauss est souvent repris par les antispécistes, qui y voient la confirmation d’une idée clé de leur système de pensée : les animaux d’élevage seraient de « faux animaux », des bêtes « anthropisées » qu’il faudrait rendre à la vie sauvage. Cette « libération animale » serait vertueuse pour les animaux, dont la vie serait respectée, mais aussi pour les humains : dans une société végane, plus personne ne serait « un cannibale au sens élargi ». Fabrice Éboué pousse la logique de cette analyse à son paroxysme et montre qu’elle peut s’avérer dangereuse. N’y a-t-il pas là une confusion morale, qui met sur le même plan le matériel et le symbolique ? Si tout le monde est cannibale, comme semblent le dire Lévi-Strauss et les antispécistes, alors plus personne ne l’est… Or, manger un animal auquel on prête une forme d’humanité – mais qui n’est tout de même pas humain –, est-ce vraiment aussi grave que de cuisiner un ragoût avec des morceaux de grand-mère dedans ?
  • Le film dénonce par l’absurde la mise sur le même plan de toutes les espèces animales. Cette égalité morale supposée entre humains et « animaux non humains » confine en effet à une forme « d’antihumanisme » – un argument souvent mobilisé pour critiquer l’extrémisme de l’idéologie antispéciste [y compris par l’autrice de ces lignes, dans son livre L’Imposture antispéciste]. Dans un monde où les vaches sont censées être des humains comme les autres, le boucher Vincent Pascal peut dire à raison : « Les végans sont des herbivores ». Et donc les traiter comme il pense légitime de le faire, c’est-à-dire comme des animaux de boucherie. Fabrice Éboué s’attaque ainsi à une outrance idéologique à l’aide d’un scénario lui-même outrancier, comme pour mieux appeler tout le monde au calme et à la modération. Au final, son film est autant une critique de l’antispécisme qu’une charge contre l’élevage industriel, auquel il préfère l’art culinaire à la française et « l’amour du travail bien fait ».

 

Barbaque, de Fabrice Éboué, avec Marina Foïs et Fabrice Éboué, est actuellement au cinéma.

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