Astérix, les Schtroumpfs et le journal de Spirou sont-ils (vraiment) fascistes ?

Au printemps 2011, on découvrait avec stupeur, sous la plume de l’écrivain Antoine Buéno – dans Le Petit Livre bleu (Hors Collection) – que les Schtroumpfs étaient des nazis. Plus précisément, que l’univers inventé par Peyo représentait une utopie totalitaire. Uniformes, travailleurs, dépourvus de sexualité (mais pourquoi n’y a-t-il qu’une femme chez eux ?), obéissant à un chef incontesté, parlant une inquiétante novlangue, vivant en commun dans un lieu pur et coupé du monde, les petits hommes bleus constitueraient un mélange de nazisme et de stalinisme. Une polémique s’ensuivit. Quelques mois plus tard, le philosophe Michel Serres, grand admirateur de Tintin, attaquait violemment Astérix, autre monument national, sur les ondes de France info. L’idéal éducatif véhiculé par les albums d’Uderzo et de Goscinny reposerait sur l’apologie de la drogue (la potion magique), de la violence et de la haine de la culture, symbolisée par l’exclusion rituelle du barde Assurancetourix.

Pourquoi les innocentes bandes dessinées de notre enfance déchaînent-elles tant de passions ? Parce qu’elles représentent sans doute les premiers traités de philosophie politique que nous ayons lus. Chacun de ces mondes, celui des Schtroumpfs, d’Astérix, ou encore celui de la vie au travail de Gaston Lagaffe, transmet aux jeunes lecteurs certaines valeurs, plus ou moins démocratiques, et propose une version sophistiquée de la vie en commun.

Pour y voir plus clair, nous avons demandé à Nicolas Rouvière, maître de conférences en littérature et auteur de deux remarquables ouvrages sur Astérix, de redéfinir les régimes politiques et sociaux des petits hommes bleus, des irréductibles Gaulois et du gaffeur professionnel.

ASTÉRIX

Lumières gauloises

On a souvent dit d’Astérix qu’il s’agissait d’une œuvre gaullienne, du fait de la concomitance de la série avec le retour de De Gaulle au pouvoir, ainsi que la présence de thèmes comme l’apologie de la Résistance, ou une orientation non alignée, voire tiers-mondiste. Mais certains éléments cadrent mal avec cette interprétation : la nette anglophilie d’Astérix chez les Bretons, l’opposition au centralisme, la critique de la politique de prestige ou celle du capitalisme. Astérix se situe-t-il alors du côté du socialisme ? Dans Le Domaine des dieux, les auteurs semblent développer une critique immobilière de la domination sociale, les Gaulois soutenant les revendications de l’esclave Duplicatha. Mais cette sensibilité pour la question sociale est tempérée par le contre-exemple des légionnaires romains en grève, qui incarnent une dérive autogestionnaire et anarchique.

En réalité, du vivant de Goscinny, la série partage avec la pensée de Pierre Mendès France le caractère d’une synthèse républicaine et moderne, avec son école et son conseil. À travers la science de Panoramix sont promues la connaissance et la raison. La bande dessinée défend des valeurs anti-impérialistes et anticoloniales et se montre ouverte à une Europe des peuples et des nations. Sur le plan des institutions, elle affiche une hostilité à l’égard du pouvoir personnel, tout en laissant entrevoir les limites d’un régime d’assemblée. Sur le plan économique, Astérix semble en phase avec la pensée mendésienne, qui cherche un équilibre pour tempérer le capitalisme libéral, sans céder au dirigisme étatique.