Aristote. Maître ès réalités

Sur sa célèbre fresque L’École d’Athènes, Raphaël représente tous les philosophes connus de l’Antiquité. Plaçant Platon et Aristote au -centre, il les oppose. Alors que le premier pointe le ciel de son index, le second tourne la main vers la terre. Si l’image est réductrice, elle dit bien ce que fut la vie d’Aristote : une longue conversation avec Platon, son maître, face auquel il n’eut de cesse de réhabiliter la complexité du réel. Face au parti du ciel, de l’idéalisme, des mathématiques et du rejet de la doxa, Aristote défend le parti de la terre, du réalisme, de l’étude des animaux, et du bon sens collectif…

Il a 17 ans lorsqu’il arrive à Athènes, en – 367. « Il était un peu bègue. Très maigre de jambes, dit-on, il avait de petits yeux, aimait les beaux vêtements, et se rasait le visage », rapporte Diogène Laërce. Venu de Stagire (en Macédoine) pour s’inscrire à l’Académie, célèbre école créée par Platon et dispensant un enseignement général à base de mathématiques, il y sera élève, puis enseignant, jusqu’à la mort de son maître.

En raison de la divergence intellectuelle dont attestèrent leurs œuvres, les relations entre les deux hommes intriguent : étaient-ils amis ? Pour Élien de Préneste, historien du III^e siècle, Platon n’a jamais aimé Aristote : « Il se coupait les cheveux, ce qui n’était pas dans les habitudes de Platon et, portant de nombreuses bagues, il s’enorgueillissait de ce fait ; son visage arborait un certain air moqueur, et cela, joint à sa propension au bavardage intempestif, trahissait sa manière d’être. » Si les descriptions des biographes antiques, qui mêlent détails et légendes, sont partisanes, on trouve aussi bien des témoignages selon lesquels Platon surnomme Aristote « le liseur », ce qui pourrait être condescendant, que d’autres selon lesquels il l’appelle noûs (« intelligence » en grec), ce qui est assurément flatteur. Premier penseur à avoir conféré à l’amitié la dignité d’objet philosophique, Aristote n’est cependant pas homme à détester, et même lorsqu’il s’apprête à contester les thèses de Platon, dans un passage de l’Éthique à Nicomaque (I, 6), il le fait avec une infinie délicatesse : « Pour pénible qu’il nous soit de soulever un tel problème, en raison de l’amitié que nous portons à ceux qui ont introduit ces doctrines, chacun comprendra aisément que l’amour de la vérité parle plus fort que les considérations d’ordre privé, spécialement lorsque l’on fait profession de philosophe. »