Une histoire de la philosophie, t. 1
Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié leCe n’est pas sans une légère appréhension que l’on se prépare à ouvrir le tout dernier ouvrage de Jürgen Habermas. Le philosophe allemand le plus important de sa génération, qui a renouvelé la pensée politique européenne après le nazisme, nous gratifie ici de huit cent cinquante pages, dont cinquante de notes (et ce n’est que le premier volume d’une odyssée dont nous ne connaîtrons pas, pour l’heure, la conclusion !). Au premier coup d’œil, les interminables paragraphes, qui courent sur plusieurs pages, ont quelque chose de décourageant. Le thème même – « une histoire de la philosophie », véritable figure imposée pour les philosophes –, ne suscite pas immédiatement l’enthousiasme. Pourquoi donc Habermas, né en 1929, s’est-il lancé dans cette entreprise vertigineuse ? Peut-être parce que, fidèle à l’approche communicationnelle qui a fait sa renommée et par laquelle il a remis la rationalité de la parole et l’éthique de la discussion au cœur du consensus démocratique, il est conscient que les termes mêmes que mobilise sa pensée – raison, liberté, discussion – ne peuvent se comprendre indépendamment de leur histoire mouvementée, faite d’emprunts et de controverses. L’histoire proposée par Habermas est une histoire habermassienne.
C’est peut-être cette revendication de partialité – cette volonté de raconter seulement « une histoire » – qui incite, d’abord, à plonger dans ce grand voyage dans le temps. Habermas ne dira pas tout de cette histoire. Sa somme n’est pas un exercice d’érudition. Le récit n’a d’ailleurs rien de linéaire : les références, les époques, les géographies ne cessent de se mêler. Le philosophe interroge l’aventure de la pensée à la lumière d’une question précise, délimitée : les rapports ambivalents de la foi et du savoir. L’histoire de Habermas est orientée, scénarisée. Elle avance dans une certaine direction.
Vers où ? Vers une scission abyssale, radicale, de la foi et du savoir. Nous sommes devenus incapables de penser en dehors de cette opposition tranchée. Elle n’a pourtant pas été toujours si évidente. Fidèle à un « concept compréhensif de la raison », Habermas déploie, au fil des pages, la « généalogie » de ce divorce propre à l’époque « post-métaphysique » de la modernité, divorce qui n’aura vraiment lieu… que dans le second tome. Car, pour Habermas, cette disjonction s’enracine dans un moment préalable de réunion, sur lequel se concentre le présent volume : « la symbiose de la foi et du savoir dans le platonisme chrétien », au sein du monde romain.
Cette symbiose ne s’est pas faite sans heurts. Mais ces heurts ne se réduisent pas à l’opposition schématique entre foi et savoir. Ils tiennent à la rencontre de deux singularités, deux « images du monde » nées lors de la « période axiale ». Habermas emprunte l’expression au philosophe Karl Jaspers (1883-1969) pour désigner l’époque décisive où, en l’espace de quelques siècles, apparaissent la pensée grecque, le confucianisme, le taoïsme, le bouddhisme, le zoroastrisme et le monothéisme. Soit autant de réponses différentes à un même enjeu : « Les civilisations qui se comprenaient jusqu’alors de façon mythologique se retrouvèrent dans l’obligation, suite à l’accroissement d’un état de connaissance différencié », d’opérer une « moralisation du sacré », de faire « éclater le cadre catégoriel de la pensée […] magique ».
Ce qui s’est ensuite joué à Rome, c’est l’entrelacs de deux de ces réponses, en dépit de leur opposition profonde : le christianisme, fondé sur l’idée du « Dieu intervenant dans l’histoire », sur la possibilité d’un « nouveau commencement », et la philosophie grecque, organisée autour d’un « cosmos reposant de toute éternité en lui-même ». Les effets de cette rencontre ont été considérables : « Alors que les Pères de l’Église avaient appris à se projeter dans l’univers de la pensée hellénistique, […] le monde antique, lui, n’a pour l’essentiel pas souhaité se confronter à l’inédit de la pensée judéo-chrétienne. » Son refus a conduit à sa propre extinction : « La forme originelle du monde spirituel antique [a] disparu. » La philosophie n’a continué à vivre qu’au sein du christianisme romanisé.
Le partage, tardif, de la foi et du savoir doit se comprendre depuis cette symbiose. Lentement, l’Occident assiste à une répartition des tâches entre théologiens et philosophes d’un nouveau genre. Ces derniers l’ont en un sens emporté avec la modernité ; mais les concepts qu’ils ont fait triompher restent fondamentalement « issus des traditions religieuses ». L’exploration de cet héritage pose à nouveaux frais la question de « ce que la philosophie peut et doit se croire capable de faire » à l’âge post-métaphysique. Réponse dans le second volume !
Elle le considérait comme l’« unique successeur que Kant ait jamais eu ». Devenu après-guerre à la fois un père d’adoption, un lecteur attentif de son œuvre et un ami fidèle avec lequel elle entretiendra une correspondance ininterrompue et…
Le philosophe éclaire les liens entre l’expérience de Milgram et les conclusions de Hannah Arendt après le procès Eichmann. Plus que bons ou mauvais, nous serions d’après lui surtout vulnérables. Un appel à la vigilance.
Élisabeth de Fontenay s’est attachée à déconstruire un certain humanisme, une tradition métaphysique qui ne fait pas droit aux bêtes, aux fous,…
Depuis le 15 juillet, après la tentative d’une partie de l’armée turque pour renverser le pouvoir en place, le président Recep Tayyip Erdoğan…
Alexis Keller est l’un des seuls négociateurs, qui plus est philosophe, qui peut se targuer d’avoir abouti à un accord de paix détaillé entre Israéliens et Palestiniens. Signé en Jordanie, le 12 octobre 2003, l’Accord de Genève est un…
« Walter Benjamin était un intime de mes parents. Il venait fréquemment nous rendre visite lorsque nous habitions à Berlin. Lui et mon père, après avoir travaillé pour les mêmes revues littéraires allemandes, s’étaient lancés dans une…
Edgar Morin a fêté ses 100 ans cette année. Acteur engagé dans les grands événements de ce siècle, le philosophe et sociologue a connu la Résistance, la…
Plus que deux jours avant la sacro-sainte épreuve. Pour vous rassurer et vous permettre de mettre vos idées au clair, nous vous invitons à participer à une…