Une colère française

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Le mouvement des « gilets jaunes » a suscité un appétit de commentaires chez les intellectuels. Pourquoi ne pas se réjouir de cette multiplicité de points de vue, même si chacun a tendance à voir midi à sa porte ? L’année 2019 devrait donc voir paraître beaucoup de livres à jaquette jaune *. Celui-ci est signé du philosophe et consultant en relations sociales Denis Maillard. Face à l’ambivalence des « gilets jaunes », il creuse les paradoxes : il s’agirait d’une « lutte sociale sans classes sociales », la colère contre l’injustice serait en fait une « demande libérale »… Sa réflexion, stimulante, s’appuie sur une intéressante analyse de la société française comme « société de marché », « orientée client », dans laquelle l’État n’est plus puissance tutélaire, ni même providentielle, mais un « État tuto » dont les individus attendent surtout qu’il les laisse jouir de leur autonomie (avoir la sécurité et les moyens de vivre de son travail). Au centre des préoccupations de Denis Maillard se trouve la destruction des corps intermédiaires (partis et syndicats) au profit de coachs, psys, avocats, blogueurs et bulles sur réseaux sociaux. Contre la radicalité des face-à-face in-négociables, il donne les pistes d’une profonde ré-institution des syndicats.

* Signalons deux excellents livres collectifs, pensés sur le vif de l’événement : Le fond de l’air est jaune (Seuil, 224 p., 14,50 €), contributions réunies par Joseph Confavreux, et Gilets jaunes. Hypothèses sur un mouvement (La Découverte, 216 p., 12 €), vingt-quatre analyses publiées au jour le jour sur le site AOC.
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