Les animaux aussi ont des droits
Une recension de Martin Duru, publié leTrois entretiens denses. Un état des lieux sur la nécessité et le développement de la protection animale mobilisant les apports de l’éthique contemporaine, de la philosophie traditionnelle ou encore de l’éthologie.
Ils sont d’accord. La supériorité des hommes sur les animaux est une ânerie. Entre eux et nous, nulle différence de nature, seulement de degré. Un très grand nombre d’animaux perçoivent, sentent, souffrent. Ont des désirs, des croyances, un sens de leur propre futur – une conscience de soi, oui, n’ayons pas peur du mot. Dès lors, même s’ils n’organisent pas encore de meetings pour défendre leur cause, nous avons des obligations envers eux. Et la morale ne suffit pas : nous devons reconnaître des droits aux animaux, pour endiguer les violences insoutenables que nous leur infligeons trop souvent – les abattoirs, remember ?
« Ils », ce sont tout d’abord les trois protagonistes du passionnant livre d’entretiens Les animaux aussi ont des droits. Le casting est royal : on y retrouve Peter Singer, star mondiale de la philosophie à l’origine d’un mouvement en faveur de la « libération animale » ; Élisabeth de Fontenay, auteur de l’impressionnant Silence des bêtes, où elle déconstruit les discours affirmant un « propre de l’homme » pour mieux « rabaisser » les animaux ; Boris Cyrulnik, enfin, qui fut l’un des pionniers français de l’éthologie, cette discipline qui, en étudiant leurs mondes, marque « le début d’une attitude morale envers les animaux, d’une prise de conscience de leurs intérêts ».
Le hasard des publications faisant bien les choses, paraît aussi Les Droits des animaux du philosophe américain Tom Regan, l’un des livres les plus influents sur la question – pavé dans la mare du « chauvinisme humain ».
Tous sont évolutionnistes et proclament la continuité essentielle animaux/humains. Néanmoins, l’arbre de Darwin cache une forêt de différences substantielles. Les désaccords sont profonds, vifs, les arguments s’agrippent et (se) griffent : une vraie jungle. Prenons l’opposition entre Singer et Regan. Le premier s’est fait connaître en 1975 avec son livre La Libération animale. L’enjeu ? Non pas ouvrir les grilles des zoos, mais déboulonner nos préjugés, changer notre regard sur les animaux. Pour ce faire, Singer se réclame du courant utilitariste, développé en Angleterre par Jeremy Bentham (1748-1832) et John Stuart Mill (1806-1873). Pour un utilitariste, une action est moralement bonne si ses conséquences apportent un surplus de plaisir ou de bonheur aux personnes concernées ; inversement, elle est mauvaise si elle entraîne de la peine ou de la douleur. Or la plupart des animaux souffrent, on l’a dit. Nous devons accorder à cette souffrance autant de considération qu’à celle éprouvée par les humains : ce que Singer appelle le « principe d’égale considération des intérêts ». Les animaux sont donc inclus dans la communauté éthique et ne sauraient être maltraités. Ce qui ne signifie pas que toutes les existences sont égales. Pour Singer, aucune vie (humaine ou non humaine) n’est en soi sacrée ; elle est un réservoir de possibilités plus ou moins grandes. Conséquence : si l’on doit choisir entre sauver la vie d’un chimpanzé (qui a une conscience de soi, des facultés de communication, un potentiel de développement…) et celle d’un homme gravement handicapé (une personne réduite à un état végétatif, sans espoir d’amélioration), il faut préférer l’animal : un parti pris qui en a choqué plus d’un… dont Regan.
Ce dernier, dont le maître ouvrage a paru en 1983 (sous le titre The Case for Animal Rights), se veut clairement « anti-utilitariste ». Il adopte une voie opposée en philosophie morale, la posture déontologique (du grec deon, « devoir »). Nos actes sont bons s’ils se conforment à des principes universels, indépendamment de leurs conséquences concrètes. Et Regan de proposer la première vraie théorie des droits moraux des animaux. Selon lui, les mammifères adultes sont comme nous des « sujets-d’une-vie » et possèdent à ce titre une « valeur inhérente ». Ils ont un « droit moral fondamental à un traitement respectueux », ne doivent jamais être traités comme des moyens, des « ressources », et tout dommage qui leur est infligé est mauvais (wrong). « Nous ne devons pas commettre d’injustice pour que du bon puisse advenir » : Regan répudie tout calcul d’utilité, toute casuistique à la Singer. Pas touche au sujet-d’une-vie, humain ou non humain. D’où un engagement « abolitionniste » implacable : Regan réclame « l’élimination » de toutes formes d’exploitation animale ; élevage (même « humanisé »), chasse, recherche en laboratoire : rien n’échappe à son scalpel moral. Radical, aussi.
Le grand match anglo-saxon est loin d’épuiser toute la richesse du débat. Les positions intermédiaires, originales, prolifèrent. Ainsi ici d’une Élisabeth de Fontenay : elle aussi brocarde « l’anti-humanisme » des utilitaristes, mais elle se méfie également de la rhétorique du droit des animaux. Selon elle, « on ne peut pas mettre moralement et juridiquement sur le même plan les hommes et les animaux » – cela revient à passer à côté de la singularité des uns et des autres (étendre des droits humains aux non-humains, c’est encore faire preuve d’anthropocentrisme…). On le voit, l’éthique animale est une jungle où l’on se perd parfois. Sortons-en, et retrouvons une lisière commune. Pour reprendre les mots de Boris Cyrulnik que tous les auteurs invoqués pourraient cautionner, « le fait qu’on se soucie des animaux aujourd’hui est un signe que l’humanité progresse ». Les prendre au sérieux, eux, les considérer, faire avancer leur protection, c’est aussi bon, et urgent, pour nous. Alors, humains, encore un effort – l’animal est votre avenir.
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