“La Grâce et le progrès”, par Élisabeth de Fontenay
Inquiéter l’universel, c’est le souci d’Élisabeth de Fontenay dans un essai personnel, La Grâce et le progrès. Réflexions sur la Révolution française et la Vendée (Stock, 2020). Car c’est à partir de son attachement indéfectible à la République qu’elle met en cause « la démesure souveraine en quoi consiste son universalisme […] lorsqu’il se confond avec l’intolérance ». Elle la débusque dans un épisode exclu du « roman national » et qui pourtant signe dans le sang sa naissance après la Révolution française : la guerre civile, voulue par la Convention, qui a massacré 200 000 Vendéens contre-révolutionnaires entre 1793 et 1796. Ces abominations préfigurent selon elle « certaines exactions de la colonisation ». C’est pour ne pas laisser à l’extrême-droite anti-républicaine la célébration de cette mémoire que la philosophe l’exhume pour interroger la violence des idéaux, fussent-ils républicains, lorsqu’ils s’imposent comme des absolus.
Élisabeth de Fontenay s’appuie sur le récit des deux plus grands écrivains romantiques de la République : l’historien Jules Michelet (1798-1874), le fondateur de l’écriture de l’histoire de France, et Victor Hugo (1802-1885), qui consacre à la Vendée son roman Quatrevingt-treize (paru en 1871, après la Commune). Les deux auteurs sont également portés dans leur foi républicaine par le souffle du progrès. Ils seront tous les deux bannis par le Second Empire : Michelet révoqué du Collège de France, Hugo exilé.
- De Michelet, qu’elle admire, Élisabeth de Fontenay retient sa lucidité sur la Terreur (« une plongée dans les eaux froides de la mort »). Mais il manifeste une absence obstinée de pitié face au massacre du peuple vendéen, qu’il persiste à ne voir que comme « la France égarée de l’Ouest ». Michelet est selon elle « l’instituteur de l’amnésie républicaine ».
- De Victor Hugo, qu’elle aime, elle retient le déchirement. De la Vendée, il fait une tragédie dans laquelle ses personnages sont tiraillés entre leurs origines et leurs convictions. Ce sont finalement deux visions de la République, celle de Gauvain l’idéaliste et celle de Cimourdain, l’inflexible révolutionnaire, qui meurent en même temps.
Que tirer de ces récits édificateurs ?
- Non pas une réhabilitation de la cause farouchement contre-révolutionnaire des insurgés vendéens, comme le font aujourd’hui « les forces les plus réactionnaires de la vie politique ».
- Non pas substituer au récit glorieux des origines insurrectionnelles de la République dans la Révolution française, le contre-récit des ses origines sanglantes.
- Mais reconnaître les faiblesses d’un universalisme « de surplomb » et son « nouage » problématique en France avec le centralisme et l’obsession unitaire.
- Et si l’idéal républicain ne peut plus être porté par le grand vent du progrès, son avenir dépend de la capacité de la République à reconnaître « ses deuils et ses dettes » à l’égard de ses minorités et leur droit à la différence.
La Grâce et le progrès. Réflexions sur la Révolution française et la Vendée, d’Élisabeth de Fontenay, vient de paraître aux Éditions Stock. Disponible ici.
Tandis que l’Europe s’est construite autour de la mémoire de la Shoah et du « plus jamais ça », les tenants du négationnisme ont trouvé refuge au Moyen-Orient. Dans l’ombre du conflit israélo-palestinien, leurs thèses, reprises par de…
Élisabeth de Fontenay s’est attachée à déconstruire un certain humanisme, une tradition métaphysique qui ne fait pas droit aux bêtes, aux fous,…
Les images de ce cerf traqué par des chasseurs à courre et trouvant refuge dans un chantier près de Compiègne le 19 septembre ont bouleversé…
Analyse des termes du sujet « juste » Synonymes : bien, droiture, respect des lois, légitime, équitable, conforme à une norme, adéquat… « et » Le juste et l’injuste peuvent concerner un jugement, un comportement, même en dehors de…
Dotées du pouvoir d’enfanter, les femmes ont longtemps été confinées par les hommes à la fonction maternelle. Grâce à la révolution du féminisme, elles sont en passe de conjuguer cette puissance vitale avec la…
Dimanche dernier, Éric Zemmour était en meeting au Mont-Saint-Michel. Fidèle au discours de « reconquête » qu’il tient depuis le…
Après René Girard et Roger Caillois, notre « livre du jour » consacré à la guerre est l’œuvre d’Alexis Philonenko (1932-2018). Dans…
On peut donner deux sens au mot histoire : ce que l’homme a vécu, et le récit qu’il en fait. En tant que récit, l’histoire suppose l’écriture, dont l’invention marque le passage de la préhistoire à l’histoire. Tournée vers le passé,…