La fragilité du bien. Fortune et éthique dans la tragédie et la philosophie grecques
Une recension de Roger Chartier, publié le1. La roue de la fortune
Les tragédies grecques racontent toutes la même histoire : celle d’un être ruiné par ce qui lui arrive, c’est-à-dire par la fortune (tuchè). Le héros tragique est bon mais il agit mal en raison de circonstances dont il n’est pas responsable. Que la faute soit involontaire (Œdipe épouse sa mère à son insu) ou librement consentie au nom de certaines valeurs (Antigone brave l’interdit pour donner une sépulture à son frère), dans tous les cas, le désastre est inéluctable. Et gare à qui tente d’échapper à sa condition humaine pour se soustraire à la vulnérabilité : faire preuve de démesure, c’est encore courir à sa perte. La morale tragique nous enseigne donc que quoi qu’on fasse, on ne peut échapper à la fortune.
2. À l’abri du mal
Critique acerbe de la morale tragique, Platon affirme que l’usage de la raison peut nous mettre à l’abri du sort. Dans ses premières œuvres, comme le Protagoras, il s’efforce d’élaborer une science du raisonnement pratique, convaincu qu’en délibérant correctement, nous sommes théoriquement capables de nous tirer de n’importe quelle situation. Le philosophe inaugure ainsi l’« histoire du contrôle progressif que l’homme exerce sur la contingence ». Mais au fil des dialogues, Platon semble rattrapé par la part incontrôlable de notre humanité : l’amour, l’amitié, les relations passionnées entre individus viennent bouleverser l’idéal de maîtrise rationnelle. Et le sage Socrate finit dans le Phèdre par faire l’éloge de la folie érotique…
3. L’amour du risque
Philosophe de prédilection de Martha Nussbaum, Aristote est le premier à reconnaître que nous restons toujours vulnérables face aux événements extérieurs. Mais il nous explique aussi qu’« une vie si vulnérable est pourtant la meilleure ». Car cette fragilité inéluctable est ce qui fait notre humanité : l’amour du risque nous conduit sans cesse au devant de la vie et de ses aléas. Oscillant entre exposition au danger et désir de stabilité, la vie humaine est une « délicate recherche d’équilibre ». Ne peut donc nous y guider qu’une éthique consciente de cette « fragilité du bien » qui est au cœur de la pensée grecque et que la morale moderne, inspirée par Kant et centrée sur l’universalité d’un devoir commun à tous les hommes, a oubliée.
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