De l’humiliation 

Une recension de Clara Degiovanni, publié le

L’humiliation se ressent dans la chair, elle passe par la honte, la rougeur des joues, par l’envie de « s’enterrer ». Mais si cette honte me fait taire l’événement, qui saura que j’ai été humilié ? Pire : comment pourrais-je savoir que j’ai moi-même humilié ? « En s’attaquant au sujet parlant, à son crédit, à sa réputation, à son droit d’accès au langage, l’humiliation disqualifie, elle tend à rompre toute possibilité de discussion », explique Olivier Abel, spécialiste des œuvres de Paul Ricœur et d’Emmanuel Levinas. L’humiliation est donc un objet fuyant et complexe qui « n’est pas quantifiable, mesurable, observable, comme le sont les coups et blessures ». Est-ce à dire qu’il faut être dans le « déni » ? Assurément pas. Car, prévient Olivier Abel, l’humiliation a des conséquences qui ne se révèlent souvent qu’après coup, engendrant « une violence future aux effets incommensurables ». Parce qu’elle s’en prend au « visage », à ce que nous avons de plus vulnérable, l’humiliation, plus que tout autre affect, peut engendrer des chaînes de vengeance inextinguibles. Comment faire face, donc, à ce qui nous faire perdre la face ? Si, individuellement, nous pouvons cultiver des vertus comme le « pardon », l’« oubli » ou l’« humour », qui ont cette faculté d’alléger le ressentiment, le « désarmement de l’humiliation » est avant tout un combat politique. Pour Abel, les écoles, les administrations, les hôpitaux doivent être conçus comme des espaces protégés par la confidentialité mais aussi comme des lieux d’écoute. Cette transformation des institutions est la seule manière de construire une « société décente », c’est-à-dire « non humiliante ».

Sur le même sujet

Article
2 min
Victorine de Oliveira

L’extrait de Paul Ricœur « Quel est le prix à payer pour une pensée qui aurait renoncé à la question “pourquoi” ? Le début de la réponse me paraît être celui-ci : pour une telle pensée le mal est une catégorie de l’action et non d..


Article
1 min

1913 Il naît le 27 février à Valence, dans la Drôme. Sa mère meurt quelques mois plus tard.1915 Son père est tué lors de la Grande Guerre. Ricœur, pupille de la nation, est élevé par ses grands-parents. Il trouvera une consolation dans la…





Le fil
3 min
Octave Larmagnac-Matheron

Aucun ouvrage de Paul Ricœur n’aborde directement la question de la religion. S’il a pu concéder le qualificatif de « philosophe et protestant »,…

“La Religion pour penser”, de Paul Ricœur