Contre les femmes. La montée d’une haine mondiale

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

C’est le petit discours qui monte, qui monte… Les femmes seraient en passe d’obtenir l’égalité qu’elles réclament depuis tant de décennies. Les féministes actuelles ne seraient-elles pas les enfants gâtées d’une révolution qui a déjà porté ses fruits ? Le sociologue néerlandais Abram De Swaan collecte un ensemble de données à travers le monde pour rétablir les faits : le patriarcat, qu’il qualifie de « règne de la terreur », exerce toujours son impitoyable oppression sur les femmes et les hommes qui ne répondent pas à une certaine norme de la masculinité. Et cela ne concerne pas que les pays en guerre ou économiquement en difficulté. Aux États-Unis, dans plusieurs États, il n’existe, par exemple, toujours pas d’âge minimum légal pour se marier. Il y a trois ans, le New York Times a rapporté qu’en Floride, en 1972, une petite fille de 11 ans, enceinte suite à un viol, avait été poussée par sa famille à épouser son agresseur. Même si la loi a largement évolué depuis, ne pas s’attaquer à ce type de vides juridiques constitue un îlot de résistance pour De Swaan. Il remarque en effet qu’à mesure que les droits des femmes gagnent du terrain, se développe le ressentiment des hommes. Quand on ne vous propose comme modèle de masculinité qu’une version dominante, violente et insensible, difficile de renoncer à ce qui vous permettait d’exercer ce pouvoir. Le sentiment d’une « grande injustice faite au mâle » se fait jour en même temps que celui de « perdre son statut, perdre son honneur ».

Pour De Swaan, cette blessure narcissique est l’un des moteurs des mouvements suprémacistes d’extrême droite – De Swaan cite le Norvégien Anders Breivik dont le manifeste rend le féminisme responsable de la décadence de la culture européenne. Et c’est aussi une motivation non dite de l’État islamique. Certes, le cœur de leurs combats est, dans un cas, la volonté de réhabiliter la race blanche et, dans l’autre, la revanche contre l’Occident – ce qui les oppose frontalement. Mais la haine des femmes constitue tacitement leur point commun. Leur pouvoir de nuisance ne peut toutefois pas enrayer le mouvement d’individualisation que De Swaan repère chez les deux sexes : « Une plus grande égalité entre les sexes implique donc une plus grande diversité entre les femmes mais aussi entre les hommes. » La grande révolution ne serait-elle pas au fond celle-là : celle des identités ? L’abandon de la binarité au profit d’une multiplicité de possibilités ? De Swaan ne fait qu’effleurer l’hypothèse. Tout juste assez pour susciter un léger frisson d’enthousiasme.

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