Vie de couple: l'adultère est-il une solution?

Sommes-nous fait pour vivre à deux? C’est la question qui se pose à la lecture d'un récent sondage dont les résultats défient la norme de la conjugalité et le tabou de l'infidélité. Les résultats de ce sondage mené du 7 au 9 janvier 2014 par par l'Ifop pour Gleeden.com montrent que plus d’un homme sur deux (55%) et près d’une femme sur trois (32%) admettent avoir été infidèles au cours de leur vie.
 

Impossible satisfaction du désir

Dans les années 1970, seulement 30% des hommes et 10% des femmes l'admettaient. Cette progression attesterait du recul du couple comme « espace de réalisation de la sexualité dans le cadre d’un mouvement plus large de diversification des trajectoires sexuelles ». Recul du couple ? Plus vraiment dans l’esprit du temps, le couple repose en effet, selon la sociologue Eva Illouz, sur l’impossible satisfaction du désir. Il «prend de facto position contre la culture de maximisation du choix, contre la conception du moi comme lieu permanent de sensations fortes, de jouissance et d’épanouissement personnel.»

Mais c’est précisément ce qui en fait la valeur ! Cette « impossible satisfaction du désir », poursuit l’auteur de Pourquoi l’amour fait mal ?, fait du couple « l’ultime aventure possible, et éminemment philosophique, au sein de la modernité. […] Il requiert des vertus et une force de caractère que la société moderne ne nous inculque plus. »
 

Utopie malmenée

Une persévérance et une fidélité qui ne siéent plus à un Français sur trois. Selon le même sondage, ils sont 35% à déclarer qu’ils seraient volontiers infidèles s’ils étaient sûrs que personne ne soit informé. Un constat qui rappelle un autre histoire: la fable de Gygès, racontée par Glaucon, le contradicteur de Socrate dans La République de Platon.

Que raconte cette expérience de pensée? Gygès, heureux possesseur d’un anneau magique capable de le rendre invisible, abuse de son pouvoir pour séduire la reine, tuer le roi et prendre sa place. Pour Glaucon, chacun agirait comme Gygès s’il possédait un tel anneau. La justice n’est que le résultat du regard des autres, une hypocrisie sociale. De l’anneau de Gygès à l’alliance conjugale, n'y aurait-il qu’un doigt?

Socrate réfute la thèse de Glaucon. La justice, selon lui, n’est pas qu’une convention, c’est une vertu cardinale qui conditionne l’équilibre de l’âme et de la cité. Eva Illouz elle aussi se fait socratique quand il s'agit de fidélité. La loi du couple, même si elle peut être désavantageuse et contraignante, est juste : ne propose-t-elle « pas une alternative radicale à notre culture dominante, par le biais, non d’une transgression, mais d’une indéfectible persévérance qui nous rend fidèles aux autres comme à nous-mêmes ? » Si cette persévérance ne nous rend pas plus heureux, peut-elle nous rendre meilleur ?
 

Liberté conditionnelle

Rien n’est moins certain. Pascal Bruckner dans un vif échange épistolaire avec Eva Illouz lance un appel à la raison, à l'« utopie intelligente de la distance » : « Ne trébuchons pas sur les serments impossibles : “Je ne te tromperai jamais.”» L'auteur du Paradoxe amoureux insiste, montrant la nécessité de distinguer l’amour durable, fondateur d’une famille, et les aventures sexuelles et sentimentales précaires et secondaires : «ne faisons pas de notre engagement amoureux le fruit de notre renoncement au monde. Rien de plus triste que ces tourtereaux blottis dans leur nid comme deux oiseaux apeurés. [...] En définitive, la pire infidélité que nous pourrons commettre est à l’égard de nous-mêmes : si nous nous montrons indignes de l’élan qui nous avait poussés l’un vers l’autre et laissons la grisaille du ressassement gagner sur la griserie des commencements.»

C'est aussi la vision du cynique Roland Jaccard. Selon lui, l'utopie du couple et la croyance dans la fidélité sont des sottises : « Les deux moments les plus forts dans la vie d’un couple sont la rencontre et la rupture : le reste n’est que du remplissage. […] Les coups de canif portés au contrat conjugal apparaîtront pour ce qu’ils sont : une forme de liberté conditionnelle ».

Cynisme désabusé, lucidité pragmatique ou utopie sublime, «tourment fécond» ou «bonheur fade»? Choisissez votre camp, compagnes et compagnons...