Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Capture d’écran de Google Street View, réalisée par Martin Legros.

Vertige métaphysique sur “Google Street View”

Martin Legros publié le 21 novembre 2022 3 min

Vous connaissez tous l’application Street View de Google qui permet de visualiser, dans le monde entier, une adresse où vous devez vous rendre. Et vous l’avez sans doute déjà utilisée…

 

« …pour voir à quoi ressemble l’endroit où vous avez prochainement rendez-vous, si ce n’est pour vous faire une idée d’où vous allez passer vos prochaines vacances – ou encore dans un but nostalgique, pour vérifier ce qu’est devenue la maison (ou l’immeuble) de votre enfance. En m’y essayant ce week-end, j’ai fait l’expérience d’un petit vertige.

Me revoilà dans ma cuisine, pris par je ne sais quelle pulsion de curiosité à taper dans la barre de recherche de Google ma propre adresse, à savoir celle d’un ancien relais de poste de Seine-et-Marne où j’ai déménagé avec femme et enfants il y a un peu plus d’un an. Une carte GPS s’affiche tout d’abord, avec les noms des routes, le tracé de la Seine et du chemin de fer, quelques punaises liées aux activités commerciales rendues publiques par mes voisins ; puis, en bas à gauche, une petite photo assez sombre de la taille d’un timbre-poste, que je distingue être une prise de vue de la façade de ma maison et du trottoir sur lequel je gare ma voiture. Alors que je clique dessus et que les pixels envahissent tout l’écran de mon ordinateur, ce qui m’apparaît me donne la berlue : là, dans la voiture garée devant ma propre maison et que je reconnais être la mienne, il y a deux individus qui sont en train de discuter. En dépit du flou des visages, je ne peux m’empêcher d’identifier la silhouette de mon fils en train d’échanger avec le conducteur… qui n’est autre que moi-même !

Imaginez le hasard qu’il a fallu pour que, sur une période de temps relativement brève – une bonne année – les voitures de Google qui sillonnent les milliers de kilomètres carrés du territoire environnant armées de leurs cameras à 360° passent devant chez moi à l’instant même où je m’y étais arrêté pour discuter avec mon fils. Et imaginez le trouble que j’ai éprouvé en me découvrant des deux côtés de l’écran, ici, dans ma cuisine, en train de tapoter sur mon ordinateur pour aller voir l’image qui était associée sur la toile à ma demeure, et là, au dehors, dans l’extériorité du réel et du réseau. Voyant et vu en même temps, cette image atteste-t-elle doublement de ma présence en ces lieux ? Ou me scinde-t-elle de moi-même dans une représentation avec laquelle je ne peux pas coïncider, à la fois dans la voiture à discuter avec mon fils, dans l’œil de la caméra de Google et ici dans la cuisine en train de rassembler ces images éclatées ?

Dans un texte lumineux sur la photographie, le penseur allemand Siegfried Kracauer (1889-1966) soutient qu’elle conjugue deux pouvoirs : un pouvoir d’enregistrement et un pouvoir de révélation du réel. Et cela, qu’il s’agisse d’un portrait anglé de Man Ray ou d’un cliché automatique du territoire pris par un avion de reconnaissance – dans ce cas, ajoute-t-il, c’est au spectateur qu’incombe le travail de révélation. “Miroir qui se souvient”, le photographe est intrinsèquement réaliste, il enregistre physiquement le réel. Mais cela ne l’empêche pas de le mettre en forme, en jouant avec la sensibilité de la plaque photographique, en choisissant telle perspective, bref, en organisant le matériau visuel en une vision. “Car il n’y a guère de chances que la nature se donne à lui s’il ne cherche pas à l’absorber de tout son être” (“La photographie”, in : Théorie du film. La rédemption de la réalité matérielle, éd. de 2010). Cet enregistrement révélateur produit un état que Kracauer, s’inspirant de Proust, appelle l’état d’“estrangement” et d’“auto-estrangement” : capté fortuitement, le réel apparaît étrange et attachant, suscitant chez le spectateur un sentiment de mélancolie.

C’est exactement ce que j’ai éprouvé devant ce cliché photographique : un sentiment d’étrangeté devant une réalité dans laquelle je baigne au quotidien mais dont les coordonnées spatiales et temporelles m’échappaient soudain. »

Vous pouvez également retrouver nos billets dans votre boîte aux lettres électronique en vous abonnant gratuitement à notre infolettre quotidienne.

Expresso : les parcours interactifs
Aimer sa moitié avec le Banquet
On dit parfois que la personne aimée est « notre moitié », celui ou celle qui nous complète. L'expression pourrait trouver son origine dans le mythe des androgynes, raconté dans le Banquet de Platon ! Découvrez ce récit fascinant.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
3 min
Google Island: l’utopie contemporaine
Marine Le Breton 17 mai 2013

Larry Page, cofondateur et président des produits de Google, a annoncé mercredi 15 mai vouloir créer son propre pays. Il y instaurerait ses…

Google Island: l’utopie contemporaine

Entretien
12 min
Alain Finkielkraut : l’ombre portée des Lumières
Martin Legros 05 novembre 2023

Et si nos débats « épileptiques » sur l’identité nationale et l’intégration, la crise de l’école et le multiculturalisme ou la laïcité trouvaient leurs racines dans le grand affrontement philosophique entre les Lumières et les…


Article
8 min
Yves Citton : “Les penseurs ‘altermodernes’ aident à décaler notre vision dominante des Lumières”
Philippe Garnier 07 mars 2022

Y a-t-il une alternative à la raison des Lumières qui ne soit pas antimoderne et irrationnelle ? Oui, répond Yves Citton dans…

Yves Citton : “Les penseurs ‘altermodernes’ aident à décaler notre vision dominante des Lumières”

Article
3 min
La Cnil sanctionne Google pour non respect du droit à l’oubli
Cédric Enjalbert 25 mars 2016

Contre Google, la commission nationale de l’informatique et des libertés demande l’application du droit de déréférencement à l’ensemble des…

La Cnil sanctionne Google pour non respect du droit à l’oubli

Article
2 min
Google fête Nietzsche
15 octobre 2013

Google, le géant d’Internet célèbre avec «un doodle» la naissance de Friedrich Nietzsche né 169 ans auparavant, un même 15 octobre. Un juste…

Google fête Nietzsche

Article
4 min
Le cristal temporel, de Deleuze à Google
Octave Larmagnac-Matheron 30 août 2021

Google a récemment annoncé avoir réussi à créer un « cristal temporel », système physique répétant incessamment la même série de…

Le cristal temporel, de Deleuze à Google

Article
9 min
De quoi Marseille est-elle le nom ? 
Octave Larmagnac-Matheron 02 septembre 2021

Indocile, mystérieuse, effervescente : la ville de Marseille a frappé l’esprit des penseurs qui s’y sont aventurés. De Walter Benjamin à…

De quoi Marseille est-elle le nom ? 

Article
6 min
Vertige d’une nuit d’été
Arthur Lochmann 26 août 2021

Philosophe et charpentier, Arthur Lochmann pratique aussi la randonnée en montagne. Dans son nouveau livre Toucher le vertige, il relate à l…

Vertige d’une nuit d’été

À Lire aussi
Paris fête la photo: pourquoi fascine-t-elle encore?
Paris fête la photo: pourquoi fascine-t-elle encore?
novembre 2014
Anya Plutynski : “Parler du cancer comme d’une ‘maladie génétique’ peut être très trompeur”
Anya Plutynski : “Parler du cancer comme d’une ‘maladie génétique’ peut être très trompeur”
Par Octave Larmagnac-Matheron
juin 2021
Alexa. La vengeance d’Héphaïstos
Par Tobie Nathan
février 2020
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Vertige métaphysique sur “Google Street View”
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse