Un regard inquisiteur

Frédéric Gros publié le 5 min

Dans le récit du “Grand Inquisiteur” issu des “Frères Karamazov”, Dostoïevski met le lecteur face à un paradoxe : comment choisir entre la rudesse d’une liberté, qui nous condamne à la solitude et à l’inquiétude et la douceur d’un bonheur qui nous réunit dans la soumission irresponsable ?

Dostoïevski propose, à travers le récit du Grand Inquisiteur, une légende proprement stupéfiante. Le poème d’Ivan raconte le retour du Christ, au XVIe siècle en Espagne, en ce temps où l’Inquisition allumait des brasiers innombrables pour éteindre l’hérésie. Le Christ revient donc, mais pas pour clôturer les temps. Il revient humble parmi les humbles, et tous le reconnaissent. Quand il parvient sur la grande place de la cathédrale de Séville, aussitôt l’Inquisiteur (vieillard voûté et gris, face au visage de lumière) le repère et fait procéder à son arrestation dans un silence général. Le Christ est conduit dans les prisons du Saint-Office, et, la nuit tombée, le vieil Inquisiteur lui adresse un discours qui constitue, pour la pensée politique, une provocation sidérante. Il l’accuse d’être venu « déranger », troubler un ordre, une tranquillité, une sécurité que l’Église s’était efforcée d’instaurer, de restaurer même dans les cœurs. Mais pour cela il fallait étouffer quelque chose, recouvrir un abîme, panser une plaie béante.

Le Christ se rappelle-t-il seulement ce qu’il était venu apporter à l’humanité de si insupportable, quand il croyait faire don ? On se souvient que, dans le désert, le Christ repousse les trois tentations-propositions du Diable pour conquérir les esprits 1. Pour l’Inquisiteur, on tient là la formule de ce que le Christ prétendait offrir, au moment même où il ne voulait pas céder aux trois propositions du Malin.

Expresso : les parcours interactifs
Mes amis, mes amours...
Notre amour peut-il aussi être notre ami (et inversement) ? Vaste question, qui invite à analyser le rôle de l'amitié dans les relations amoureuses.
Sur le même sujet






Article
5 min
Michel Eltchaninoff

Peut-on croire en un Dieu qui serait responsable du mal ? La grande question des Frères Karamazov de Dostoïevski hante toujours les philosophes. Et divise profondément croyants et athées.


Article
6 min
Michel Eltchaninoff

Au début, il y a un paradoxe tout simple, exprimé il y a près de cent cinquante ans par Dostoïevski. « Plus j’aime l’humanité en général et moins j’aime les gens en particulier », avoue, un peu honteux, un personnage des Frères…