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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Maison isolée sur l’île d’Elliðaey, dans l’archipel des Vestmannaeyjar, en Islande. © Olegbreslavtsev/iStockphoto

La petite question

Seriez-vous prêts à vivre sur cette île ?

Clara Degiovanni publié le 09 décembre 2022 5 min

L’île d’Elliðaey, au sud de l’Islande, ne comporte qu’une seule maison. Seriez-vous prêt(e) à y passer vos vacances, voire à vous y installer ? Avant de signer, lisez les guides de survie de Thoreau, Tournier et Rousseau !

 

Les grandes réjouissances collectives approchent à grands pas. Certains, à contre-courant de ces mouvements de liesse, ressentent le besoin pressant de s’isoler, de trouver un refuge paisible, loin du bruit du monde. Il existe un coin parfait pour ça : Elliðaey, une petite île de l’archipel des Vestmann, au sud de l’Islande, comporte une seule maisonnette (pour l’instant, un pavillon de chasse destiné à ranger du matériel dédié). De quoi satisfaire les pulsions solitaires des plus introvertis. Mais sommes-nous tous capables d’endurer la solitude extrême ? Quelles sont les qualités requises pour vivre parfaitement isolé dans la nature ?

Aimer (vraiment) la compagnie de la nature

Avoir pour seuls compagnons le vent, l’océan et l’herbe fraîche. On peut en rêver – encore faut-il sincèrement l’apprécier. C’est le cas pour Henri David Thoreau, connu pour avoir expérimenté la vie solitaire dans les bois, qui dévoile dans son essai Walden ou la Vie dans les bois (1854) son amour inconditionnel pour la nature, en laquelle il voit une « société douce et généreuse ». Au milieu du XIXe siècle, Thoreau transforme donc radicalement le regard que nous portons sur le monde naturel. Pour lui, ce n’est pas un seulement un environnement, un paysage extérieur à nous, que l’on contemple comme un beau spectacle. Au contraire, la nature est à ses yeux « une atmosphère [le] soutenant », dotée d’une « bienveillance aussi infinie qu’inconcevable ». Ainsi, les écureuils, les aiguilles de pins, mais aussi les gouttes de pluie « l’emplissent de sympathie ». Si Thoreau parvient à apprécier l’isolement dans la nature, c’est parce qu’il en fait non seulement une amie, mais une semblable. Il parvient à voir en elle « quelque chose d’apparenté à [lui] » y compris dans « des scènes que nous avons coutume d’appeler sauvages et désolées ». Si l’on en croit cette expérience, la meilleure manière de vivre seul dans la nature serait alors de cesser de la considérer comme un élément étranger à soi. Dès lors, notre solitude devient un isolement joyeux et peuplé par la vie alentour.

Réussir à se passer du regard de l’autre

Seul dans la nature de cette petite île islandaise, fini les jugements, la méchanceté et le mépris. Nous voici enfin libres de faire ce que nous voulons, émancipés des regards réprobateurs d’autrui. Mais est-il si facile de s’en échapper ? Pas tellement. Notre vie sociale nous permet d’entretenir notre « amour-propre ». Dans son Discours sur l’origine et les fondements des inégalités parmi les hommes (1755), Jean-Jacques Rousseau montre que l’amour-propre, caractérisé par une volonté perpétuelle de paraître et de se comparer aux autres, a graduellement pris toute la place dans nos existences socialisées. Il nous obsède, nous rend accros. Mais sans âme qui vive, sans regard extérieur pour l’entretenir, cet amour-propre peut s’étioler, et nous faire souffrir jusqu’à rendre la solitude insupportable. Il faut donc apprendre à laisser de la place à ce que le philosophe appelle « l’amour de soi », beaucoup plus compatible avec la vie solitaire. Ce dernier se définit par un souci constant de notre « propre conversation ». Il est un respect que l’on doit non pas à son apparence, mais à sa propre existence. Celui qui s’aime vraiment chérit sa pure présence au monde, par-delà le regard et le jugement des autres. Auto-suffisant, il peut jouir sainement du bonheur d’être seul, à l’abri des convoitises. Sa solitude n’entame pas l’image qu’il a de lui-même, mais vient au contraire accroître sa confiance en lui et sa force vitale.

Savoir s’échapper de soi-même

Si l’on réussit à se passer des autres, il faut aussi parvenir à se supporter soi-même… Et c’est peut-être le plus difficile. Le Moi a tendance à prendre une importance démesurée lorsqu’on vit seul. Sans les autres, on ne parle qu’avec soi, dans un perpétuel monologue. L’individu, blotti en lui-même, perdu dans la contemplation de son âme et dans son propre discours, peut ainsi finir par se trouver insupportable. C’est ce qu’explique Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique (1967). Juste après le naufrage, Robinson (Crusoé) se porte encore relativement bien, parce qu’il est toujours empli de ses expériences sociales récentes – il est « tout chaud de [s]es contacts avec [s]es compagnons de bord », décrit Tournier. Dans sa tête, Robinson poursuit donc « imaginairement le dialogue interrompu par la catastrophe ». Mais petit à petit, les voix des autres se taisent. Il ne reste plus que la voix intérieure du naufragé, qui commence sérieusement « à se fatiguer de son soliloque ». À partir de là, sa solitude devient « milieu corrosif », qui « agit sur [lui] lentement, mais sans relâche et dans un sens purement destructif ». Tournier nous apprend que nous pouvons nous retrouver submergés, voire anéantis par notre unique présence. Pour éviter de sombrer, il faut s’évertuer à sortir de soi-même. Robinson choisit par exemple l’activité physique, le travail et l’organisation d’une micro-société (d’un seul habitant). Mais s’il en avait eu, il aurait aussi pu opter pour la compagnie des livres : autant de manières de sortir des limites closes de son cerveau en évitant que la solitude se transforme en une auto-intoxication.

Être seul sans se sentir seul 

L’histoire de Robinson permet de distinguer deux types de solitude. Il y a d’abord l’état de fait (je suis seul), mais il y a aussi le sentiment (je me sens seul). Le premier est une donnée neutre, le second est une émotion relativement négative. La langue anglaise distingue bien les deux types de solitudes – ce sont les célèbres « I am alone » contre « I feel lonely » –, montrant que l’on peut se sentir très seul au milieu d’une foule, par exemple. À l’inverse, le français, qui utilise le même terme dans les deux cas – « seul » – alerte sur la proximité entre le fait d’être et l’émotion qui en découle. Et pour cause : lorsqu’on est seul… on a tout de même tendance à se sentir seul. L’état de solitude réel risque constamment de se transformer en émotion, de déborder sur l’individu. Michel Tournier parvient à montrer la porosité entre cette émotion et cet état. La solitude de Robinson n’est pas un fait, une donnée statique qu’il pourrait régler une bonne fois pour toutes, mais plutôt un vortex qu’il se doit constamment de remplir pour éviter qu’il ne se retourne contre lui.

Le récit de Tournier prouve que pour vivre la solitude sans la subir, il faut choisir l’action et le mouvement vers l’extériorité, qui forment comme un garde-fou contre le repli en soi-même. Si vous êtes capable d’expérimenter cette solitude active, en esquivant l’écueil du solipsisme, vous arrivez peut-être à être seul sans vous sentir seul. Vous serez alors prêt à vivre dans la petite île d’Elliðaey. On vous souhaite quand même bien du courage…

 

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