Mort de l’écrivain-philosophe Michel Tournier
L’écrivain-philosophe Michel Tournier est mort à l’âge de 91 ans, le 18 janvier 2016.
Auteur des romans Vendredi ou les Limbes du Pacifique et Le Roi des Aulnes, Michel Tournier est germaniste et philosophe de formation. Né dans une famille érudite et politisée, il fréquente les écoles privées dans sa jeunesse et rejoint au lycée la classe de Roger Nimier (1925-1962) avec lequel il partagera l’enseignement de Maurice de Gandillac (1906-2006), qui fut notamment le premier traducteur de Walter Benjamin en français. Après un échec au concours de l’École normale supérieure, cet admirateur de Kant, dont il affirme être l’un des rares propriétaires de l’œuvre intégrale en allemand, de Gaston Bachelard et de Jean-Paul Sartre, s’inscrit en licence de philosophie à la Sorbonne. Il y soutient un mémoire sur Platon avant de poursuivre des cours de philosophie à Tübingen, dans l’Allemagne d’après-guerre, où il rencontre Gilles Deleuze. Comme ce dernier, de retour à Paris, il s’installe sur l’île Saint-Louis. Il échoue à l’agrégation en 1950: « Le couperet est tombé, sans appel, témoigne-t-il dans un entretien accordé à Télérama : pour moi, plus de philosophie, alors que c'était la grande passion de ma vie ! Mais j'ai trouvé le moyen de continuer à en faire, sous forme de contrebande, en me cachant sous la table. J'écris des histoires, en apparence banales, de pêche, de chasse, d'adultère, des récits d'amour et de voyage. Mais ce qui sous-tend le récit est toujours d'inspiration philosophique. »
Durant les années 1950, il traduit des textes et des essais allemands, participe à des émissions culturelles à la radio et commence à écrire ses propres textes. Il suit également au musée de l’Homme les cours de Claude Lévi-Strauss. De l’anthropologue, il dira dans un dossier que nous lui consacacrions qu'il a eu sur lui « une influence considérable, parce que l’une de ses grandes leçons a été de supprimer le mot “sauvage” de notre vocabulaire. L’histoire montre que la civilisation judéo-chrétienne a toujours trouvé un moyen de rejeter la plus grande partie de l’humanité dans le néant. Dans l’Antiquité, il y avait les Grecs et les “barbares”, ceux qui ne savaient pas parler. L’idée qu’on puisse avoir une autre langue que la langue grecque était inconcevable. Ensuite, il y a eu les chrétiens et les “païens”, ceux qui n’avaient pas de religion. Enfin, à partir du XVIIIe siècle, il y a eu les civilisés et les “sauvages”. Là encore, l’idée qu’on puisse avoir une autre culture que la culture occidentale moderne était inconcevable. Claude Lévi-Strauss a consacré toute son œuvre d’ethnologue à montrer que ceux que nous qualifions de “sauvages” ont aussi une civilisation. »
Il tire de cette réflexion sur la sauvagerie hérité de son maître en anthropologie, des romans remarqués, dans un style témoignant d’un mélange de prosaïsme réaliste et d’imaginaire mythique, de réalisme et de magie, dans une « esthétique du merveilleux sordide », comme il la qualifie lui-même. Vendredi ou les Limbes du Pacifique paraît en 1967. Cette réécriture de Robinson Crusoé, primée par le grand prix du roman de l’Académie française, rejoue l’antagonisme nature/culture. Mais à la différence du livre de Daniel Defoe, dans l’interprétation de Michel Tournier, le naufragé préfère la nature et dédaigne le retour à la « civilisation ». Le Roi des aulnes, paraît en 1970. Il remporte le prix Goncourt. Les deux romans sont deux vendus à des millions d’exemplaires. Michel Tournier fort de son prestige d’écrivain crée les Rencontres photographiques d’Arles et devient membre de l’Académie Goncourt. Il publie à la fin des années 1970, Le Vent paraclet, un essai autobiographique mêlé de réflexions littéraires et philosophiques et, en 2002, un Journal extime, reprenant une expression de Jacques Lacan.
Retiré dans un ancien presbytère à Choisel dès 1957, Michel Tournier n’écrivait et ne se montrait plus guère à la fin de sa vie. Il affirmait avoir « déjà beaucoup trop vécu ». Nous l’interrogions une dernière fois en 2009, dans un dossier consacré aux idées utopiques. L’écrivain s’imaginait alors en homme invisible, donnant là peut-être le secret de son existence et une clé de lecture des personnages solitaires qui habitent ses romans. « Une idée s’impose à moi, redoutable et inéluctable, écrivait-il : plus je suis vu, moins je vois. Et réciproquement : moins je suis vu, plus je vois. C’est un cas particulier de l’opposition : actif-passif. Le chasseur s’habille couleur paysage. Mais il embrasse l’horizon du regard. »
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