Rendez-nous la Lune !

Tandis que vous lisez ces lignes, la capsule Orion et son “équipage”, trois mannequins bourrés de capteurs – Helga, Zohar et le commandant Moonikin Campos –, s’éloignent de la Lune selon une orbite que les astronomes disent distante et rétrograde. Comprenez à la fois très stable, peu consommatrice de carburant et en mouvement inverse de la rotation lunaire autour de la Terre.

« Vous pouvez suivre son périple en direct sur le site de la Nasa. C’est passionnant. Et j’ai le bourdon.

Après avoir survolé notre satellite à 130 kilomètres d’altitude lundi dernier, Orion pointera lundi prochain à 64 000 km de la Lune, soit 433 000 km de la Terre. Jamais un vaisseau habitable n’aura été aussi loin dans l’espace, précise la Nasa. Bravo. Entretemps, il a envoyé un paquet de photos, dont une, magnifique, de notre planète : blanc-bleu, diamant solitaire sur velours noir, une vraie pub pour bijoutier cosmique ou croisiériste interstellaire : “Black Friday ! Pour un voyage de noces réussi, visitez la Terre.”

Le 13 juillet 1969, huit jours avant l’alunissage d’Apollo 11, l’écrivain américain Kurt Vonnegut enrageait dans le New York Times : “La Terre est une si jolie perle bleue, rose et blanche sur les photos que la Nasa m’a envoyées. Elle a l’air si propre. On ne voit pas tous les Terriens affamés et furibards là-dessous – et la fumée et les égouts et les déchets et les armes sophistiquées.” Ses propos n’ont pas vieilli, moi si : à l’époque j’étais émerveillé devant la conquête spatiale. Aujourd’hui, je suis total schizo, comme on disait alors. Partagé entre l’admiration et l’accablement.

Admiration côté pile devant une aventure fragile, bourrée de chausse-trappes et autres petits boulons qui ne demandent qu’à obéir à la loi de Murphy. Et avec cela, une aventure incroyable de délicatesse, d’intelligence, d’ingéniosité, de collaboration, de curiosité, d’espoir même : franchement, chapeau les humains et vive les sciences.

Accablement pour le côté face – mais pas très cachée - moins united colors et plus “faut pas rater le coche”. Car la grande course “to the Moon and beyond” est lancée. Qui bâtira la première base ? États-Uniens et Chinois se disputent la corde devant les Russes et les Européens, mais le privé façon Musk ou Bezos est en embuscade. Y’a du pognon qui orbite là-haut, et bientôt des armes. Comme le formule l’un des auteurs d’un intéressant livre de géopolitique spatiale, Scramble for the Skies (2020, lointain écho au livre The Scramble for Africa, qui racontait la frénésie de pillage et de conquête de l’Afrique par les puissances européennes à la fin du XIXe siècle) : “Nous sommes à l’aube d’une nouvelle course à l’espace, une course qui témoignera du plus élémentaire des concepts humains, le nationalisme.” Avec comme conséquence, qu’il signalait il y a quelques jours : “Les militaires ne veulent pas d’un avant-poste susceptible d’être menacé en raison de l’absence d’un shérif.”

Mince alors. Ce sera quoi, cette lune ? William James décrit à sa sœur une nuit d’été (en juillet 1898) durant laquelle “les flots du clair de lune s’étendaient sur toutes choses comme une dentelle magique et [il croyait] sentir dans [son] être la rencontre ineffable des dieux de toutes les mythologies de la nature avec les dieux moraux de la vie intérieure”. C’est beau, non ? Un peu mystico-chantourné, mais beau. Il fut un temps où la lune, analysait Mircea Eliade en 1943 dans Une Nouvelle Philosophie de la lune, avait une fonction métaphysique de lien entre les hommes. Il est où le lien avec mon ami Pierrot quand des gars au-dessus vont se regarder en chiens de faïence derrière leurs mitrailleuses ? Un phare dans la nuit, c’est beau, c’est rassurant… mais un mirador ? Rendez-nous la Lune ! »

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