Qu’est-ce qu’un deuil collectif ?

De l’Ukraine au Proche-Orient, le deuil collectif est revenu sur le devant de l’actualité récente. Qu’est-ce qui se joue dans cette expérience ? Les explications de la philosophe Edith Stein.

Éprouver collectivement ?

La philosophe et théologienne allemande Edith Stein (1891-1942) s’est intéressée à la question du deuil collectif dans le cadre plus général d’un questionnement sur les expériences collectives dans ses Beiträge zur philosophischen Begründung der Psychologie und der Geisteswissenschaften (« Contributions à la fondation philosophique de la psychologie et des sciences humaines », 1922). Comment ces expériences sont-elles possibles ? Après tout, mon expérience est toujours mienne, et semble-t-il uniquement mienne. Pourtant, note Stein, force est de constater que le deuil d’un soldat dont l’unité a perdu son capitaine n’a pas le même caractère que le deuil d’un ami.

La différence, pour Stein, passe à la fois du côté du sujet et du côté de l’objet. Du côté du sujet, d’abord.

“Certes je suis moi, ego individuel, rempli de chagrin. Mais je ne me sens pas seul avec ce chagrin. Je le ressens plutôt comme notre chagrin. L’expérience est essentiellement colorée par le fait que d’autres y participent, ou plus encore, par le fait que je n’y participe qu’en tant que membre d’une communauté. Nous sommes affectés par cette perte et nous en sommes affligés. Et ce ‘nous’ englobe non seulement tous ceux qui ressentent le chagrin comme moi, mais aussi tous ceux qui sont inclus dans l’unité du groupe : même ceux qui n’ont peut-être pas connaissance de l’événement, et même les membres du groupe qui ont vécu avant ou qui vivront après”