Qu’est-ce que l’acceptabilité sociale ?
Tout a commencé avec cette une du Journal du dimanche. En plein brassage médiatique sur l’irruption des nouveaux variants du Covid-19 dans le monde, l’hebdomadaire titre en énorme « Reconfinement imminent », au-dessus des deux visages du président de la République et du Premier ministre, la mine contrariée mais déterminée. L’information est sérieuse. Le JDD a ses entrées dans les ministères. C’est une marque de fabrique. En 2020, Arrêt sur images a recensé 26 unes sur 50 annonçant une interview exclusive d’un membre du gouvernement ou de la majorité, quand ce n’est pas Emmanuel Macron en personne. Au point que le site d’analyse critique des médias a surnommé le JDD « la chambre des puissants ». Et pourtant, le soir même, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal affirmait sur France 3 qu’aucune décision n’avait été prise concernant un éventuel reconfinement… Qui croire ? Et si les deux avaient dit vrai ? Réalisons une chose : dimanche dernier, ce n’est pas tellement l’annonce d’un troisième confinement qui était en jeu. La manœuvre visait plutôt à évaluer les réactions à une telle éventualité. Derrière les entretiens exclusifs de personnes au plus haut sommet de l’État, le JDD, comme d’autres médias, est parfois le support d’une expérience grandeur nature : tester « l’acceptabilité sociale » d’une décision difficile. Mais au fait, c’est quoi l’acceptabilité sociale ?
- L'acceptabilité sociale est aujourd’hui au cœur des préoccupations de l’exécutif pour deux raisons. Tout d’abord, le gouvernement est conscient que la population accepte de moins en moins l’idée d’un confinement. « La vraie hésitation, elle est liée à l’acceptabilité » a confirmé à LCI un « conseiller de l’exécutif ». Toujours selon ce conseiller, le taux d’acceptation de la population « oscillait entre 85 et 95% avant le premier confinement, autour de 60% avant le deuxième, et à l’aube d’un troisième, il ne serait que de 40% ». Chiffre que semble corroborer ce sondage pour les Échos selon lequel 72% des Français pensent qu’un nouveau confinement aura lieu prochainement, mais que celui-ci n’est souhaité que par 41% de la population. Deuxième élément : si l’assentiment du peuple aux politiques du gouvernement décline, quels sont les risques ? Et sur ce point, l’actualité internationale n’est guère rassurante. Contre les mesures sanitaires restrictives, des manifestations se sont déroulées à Madrid ou encore Copenhague, et des émeutes ont même éclaté aux Pays-Bas…
- La prise en considération de l’acceptabilité sociale fait l’objet de nombreux travaux universitaires au Québec depuis une vingtaine d’années. À l’origine ? Des grands projets de parc, centrale thermique et autre exploitation minière contestés par la population locale pour leur impact environnemental. Pour Corinne Gendron, l’une des chercheuses en pointe sur cette notion à l’université du Québec, il est devenu progressivement évident que ces politiques publiques ne pouvaient plus être conçues en vase clos et imposées à la population. Elles devaient être « débattues, discutées et ajustées en fonction des acteurs qui se font entendre publiquement, et selon les valeurs partagées par l’ensemble de la société. » La juriste propose cette définition générale de l’acceptabilité sociale : « Assentiment de la population à un projet ou à une décision résultant du jugement collectif que ce projet ou cette décision est supérieur aux alternatives connues, y compris le statu quo. »
- De façon générale, l’émergence de l’acceptabilité sociale est symptomatique des insuffisances de la démocratie représentative. Comme le rappelle Pierre Rosanvallon, dans les années 1980, la légitimité démocratique est progressivement assurée par un exécutif fort, les institutions représentatives traditionnelles devenant de moins en moins capables d’arbitrer ou de relayer les requêtes citoyennes (La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité, Seuil, 2008). Il en résulte que les antagonismes sociaux, moins absorbés par les débats politiques formels de la représentation, s’expriment de plus en plus en dehors des seuls exercices électoraux. Dans sa Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance (Seuil, 2006), l’historien et sociologue pointe ainsi l’émergence de nouveaux comportements chez les citoyens qui désormais jugent, surveillent et résistent aux décisions politiques. En d’autres termes, la construction de la légitimité des gouvernants est de moins en moins assurée par le seul rituel électoral et le jeu des institutions. La légitimité devient une notion fluctuante, qui s’actualise sous la forme de réactions plus ou moins vives au moment de projets spécifiques ou de décisions concrètes – comme celle d’un nouveau confinement. Ces réactions de la population, des acteurs économiques ou des experts, s’exprimant ponctuellement sur la voie publique ou dans les médias, matérialise un certain degré d’acceptabilité sociale que l’exécutif prend en considération pour agir.
- Finalement, n’est-ce pas la nature du pouvoir en général qui change, au-delà du politique ? Il semble se déplacer du « directif » à une forme d’orientation poreuse à l’expression du dissensus. D’où une importance croissante de la considération de l’acceptabilité en générale, de l’école à l’entreprise en passant par la famille.
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