Pourquoi l’extrême droite ?

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine, un thème : l’extrême droite, dont les idées se sont peu à peu imposées, ces dernières années, dans l’espace public. Pourquoi les progressistes sont-ils devenus inaudibles dans une large partie de l’électorat ? Faisons-nous réellement face à un nouveau péril fasciste ? Peut-on véritablement parler de l’extrême droite au singulier ? Autant de questions d’une importance décisive, à l’approche des élections présidentielles.

Jürgen Habermas : “Les principes de l’État de droit démocratique sont à nouveau remis en question aujourd’hui par les mouvements populistes de droite”

Les idées d’extrême droite ont-elles gagné la fameuse « bataille des idées » ? Il paraît en tout cas incontestable que la pensée portée par les franges les plus radicales de la droite de l’échiquier politique a acquis une audience inédite dans le débat public. Dans un entretien accordé à L’Obs, le philosophe allemand Jürgen Habermas tente d’expliquer le phénomène : « L’appel de la droite extrême à se calfeutrer dans la citadelle nationale, je le comprends non seulement comme une manière de battre en retraite devant la complexité angoissante de notre situation actuelle, mais aussi comme une réaction au sentiment diffus d’être pris dans une impasse. L’adhésion individualiste, apolitique, aux théories conspirationnistes, que nous observons aujourd’hui dans les rangs des mouvements hostiles aux mesures sanitaires, est une réaction extrême assez similaire de fuite hors de la réalité. »

Christophe Guilluy : “Les gens à l’écart du modèle économique néolibéral se retrouvent dans la contestation populiste”

De l’extrême droite au fascisme, le pas est vite franchi. Serions-nous donc face à un nouveau péril fasciste, comme on l’entend souvent ? Dans un entretien accordé au Figaro, le géographe Christophe Guilluy désamorce cette rhétorique : « On nous fait craindre depuis trente ans le retour du fascisme… C’est du théâtre ! » Ce spectre sans arrêt brandi est, de son point de vue, une arme politique. Pour étouffer le « ressentiment » des populations, les classes dominantes tablent sur la peur : « La gestion par la peur consiste à promettre l’apocalypse, qu’elle soit démocratique, écologique ou sanitaire. L’apocalypse démocratique consiste par exemple à nous faire croire depuis trente ans à l’arrivée du fascisme. […] Cela permet de rabattre éternellement les indécis ou le gros bloc des retraités vers les partisans du modèle globalisé. »

Soma : “L’idéologie de Zemmour fait de la politique une fin car il n’y a rien au-dessus de la volonté des hommes”

Même dans les milieux « antimodernes », l’extrême droite contemporaine suscite d’importantes critiques. « L’extrême droite identitaire est le stade suprême de la modernité », affirme avec un brin de provocation Soma, rédacteur sous pseudonyme de la revue en ligne conservatrice Philitt. Provocation, car l’extrême droite est en général associée au passéisme, à la nostalgie et aux positions les plus réactionnaires. Éric Zemmour en est le parfait exemple. Et pourtant, il est beaucoup plus moderne qu’il ne le croit. Il l’est, en tout cas, sur un point fondamental : le rejet de toute transcendance. « Cloîtré dans sa subjectivité et armé de sa seule volonté, l’individu moderne est prompt à percevoir dans le sentiment et l’émotion le seul critère du vrai. […] Ironie superbe de l’histoire : l’extrême droite, qui prétend rompre avec la modernité, accomplit en réalité ses tendances les plus piteuses. Des hommes excités, prétendant que la vérité est affaire purement humaine […] attirent à eux une masse humaine désorientée, avide d’Absolu mais ne sachant pas vers quoi se tourner. » Sans partager le regret de l’auteur à l’égard d’un monde désenchanté, on peut regretter que ce vide du sens et cette vaporisation de la tradition servent de tremplin à des idées réactionnaires.

Robin Serradeil : “Pour les accélérationnistes, le conflit politique est inutile, et la guerre raciale inéluctable” 

L’extrême droite, en somme, n’est pas un bloc monolithique. En témoigne la double candidature d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen. Elle est traversée par différentes lignes de fracture. Une frange importante est traditionaliste et partisane de l’ordre, mais d’autres mouvements prônent, au contraire, le chaos – le retour à la guerre de tous contre tous, à une sélection naturelle d’où émergeraient les plus forts. Une manière de détruire le simulacre d’égalité entre les hommes imposé par le droit moderne. C’est le cas du mouvement « accélérationiste », dont le journaliste de la Dépêche Robin Serradeil précise les racines idéologiques : « Cette théorie a pour objectif d’accélérer le chaos du conflit interethnique dont les membres espèrent voir naître le grand soulèvement des Européens de souche. […] Plutôt que de freiner l’immigration et le terrorisme, les accélérationnistes veulent essayer de voir dans quelle mesure ils peuvent en tirer profit pour favoriser l’affrontement. » Où comment l’on provoque ce que l’on prétend combattre : le chaos.