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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Vosves (77), les bords de Seine. © Martin Legros

Pourquoi je prends mon portable en balade

Martin Legros publié le 15 mai 2023 4 min

Vous arrive-t-il, à vous aussi, d’emmener votre téléphone partout où vous allez, y compris dans les lieux où vous aspirez à vous déconnecter ? D’après notre rédacteur en chef Martin Legros, il convient de reconnaître que nous sommes très nombreux dans cette situation, mais que cela ne relève pas – ou pas seulement – d’une insupportable aliénation technologique…

 

« C’est un petit rituel quasi quotidien : le soir, après le repas familial, je promène mon chien Sogno sur le chemin de halage qui longe la Seine en contrebas du petit hameau de Seine-et-Marne où nous habitons. Mais alors même que je cherche, grâce à cette balade dans la nature, à me déconnecter, j’emmène systématiquement mon téléphone portable avec moi. Pourquoi ? Accoutumance, aliénation technologique, besoin nouveau, induit par cette redoutable invention du capitalisme contemporain, d’être connecté et donc joignable et mobilisable en permanence, les explications ne manquent pas qui font de moi, jusque dans mes tentatives pour y échapper, l’agent de la nouvelle servitude volontaire du monde numérique. Cette capture de l’attention, il est assez commode de la décrier chez les autres – je pense par exemple à mes enfants, dont je m’effraie qu’ils ne puissent quasiment plus rien faire sans être collés à leurs écrans portatifs. Mais quand j’embarque furtivement mon téléphone avec moi pour aller me balader le long de la Seine, je dois bien reconnaître que le mal est en moi, tout aussi prégnant, et qu’il conviendrait que j’apprenne à le domestiquer avant de prétendre l’éradiquer chez eux…

L’emprise du téléphone portable est d’autant plus profonde, j’en suis convaincu, qu’elle répond à une aspiration positive. Dans le cas d’espèce, si j’emmène mon portable en balade, ce n’est pas seulement pour pouvoir répondre à un hypothétique appel de mes parents ou de mes enfants ni pour avoir accès en direct à ma boîte mail. Car je ne consulte quasiment jamais mon téléphone en me promenant. En revanche, je l’utilise régulièrement pour prendre quelques clichés des bords de Seine et de la tombée de la nuit en train d’envelopper de son mystère ce lieu magique. Entre les lampadaires clignotants de la petite gare qui éclairent le début du chemin, le chant des oiseaux qui prennent possession de l’espace nocturne, et le reflet des arbres et des nuages qui imprime la profondeur du ciel sur la surface du fleuve, ce lieu me procure un éblouissement renouvelé. Je ne cesse donc de le prendre en photo. À force, ces clichés qui se ressemblent s’accumulent dans mon téléphone. Comme pour la plupart des prises de vue que je réalise avec mon smartphone, il est rare que je les contemple après coup. Toutefois, je les poste immédiatement. Non pas sur les réseaux sociaux – je ne suis pas encore contaminé par cette servitude-là –, mais dans notre fil de discussion familial sur l’application de messagerie WhatsApp, à travers lequel mes parents, ma sœur et nos enfants respectifs, éparpillés que nous sommes entre Paris et Bruxelles, nous nous donnons mutuellement des nouvelles. Et, je l’avoue, je n’aime rien tant que voir ma sœur, qui est sans doute dans son lit à Bruxelles en train de terminer une plaidoirie, un roman ou une série, m’envoyer un petit commentaire, d’un mot, sur ma photo du jour. “Magique !”, écrit-elle parfois. Et cela suffit à combler mon attente.

Dans La Chambre claire (1980), l’essai qu’il a consacré à la photographie, Roland Barthes fait de celle-ci un art de l’attestation, de l’authentification. “Toute photographie est un certificat de présence, affirme-t-il. Ce certificat est le gène nouveau que son invention a introduit dans la famille des images.” On pourrait penser qu’à l’heure où la photographie numérique, manipulable, a remplacé la photographie argentique, et où se développent les applications de fabrication d’images par intelligence artificielle, cette conception est périmée. Mais l’industrie du faux se fonde sur le pouvoir d’attestation photographique du vrai dont elle use pour nous tromper. Et ce que Barthes en dit continue de valoir à l’heure des fakes. En deçà de l’art et de la technique photographique, il y a une dimension “métaphysique” inhérente à toute photo, belle ou laide, travaillée, ratée ou manipulée : elle prétend “ratifier ce qu’elle représente”. Pour Barthes, cette ratification porte sur un événement du passé – car il pense à la photo argentique qui implique un laps de temps plus ou moins long entre l’instant de la prise de vue et le moment où l’image apparaît sur le papier. Mais aujourd’hui, pour moi planté devant le fleuve avec mon portable, cet écart temporel s’est, comme pour nous tous, quasiment aboli. Quand on y réfléchit, c’est un petit miracle. La photo ne dit plus seulement, comme s’en émerveillait Barthes : “Ça-a-été !”, “Cela que je vois (sur le papier) s’est trouvé là.” Elle dit : “C’est !” De plus, en me permettant d’envoyer immédiatement mon cliché à ma sœur, le miracle se redouble : “Cela que tu vois (devant ton écran), se trouve là, devant moi, à l’instant même.”

Ce petit miracle quotidien qui me permet de partager et d’attester mon éblouissement devant le monde avec les miens ne justifie-t-il pas que j’emmène avec moi mon portable en balade ? Ne rend-il pas compte de l’appel irrésistible qu’il m’adresse ? Au-delà de mon cas personnel, je crois qu’on tient là l’un des ressorts fondamentaux de la puissance des écrans interconnectés, dans ce qu’ils ont d’aliénant autant que de fascinant. Ils sont porteurs d’une promesse métaphysique : la promesse que ce que je vis, au plus intime de moi-même, dans ma plus grande solitude, peut être instantanément attesté devant, par et avec les autres, dans sa réalité et dans sa vérité. »

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