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© Nicolas Villaume

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Voyage autour d’une Terre vulnérable

Nicolas Villaume publié le 15 août 2023 12 min

Si les concepts de réchauffement climatique ou de crise écologique peuvent sembler abstraits ou écrasants, la photographie permet de les rendre sensibles et de ramener notre regard sur terre. C’est ainsi que le travail exceptionnel de Nicolas Villaume, qui documente la crise écologique depuis vingt ans, nous ouvre les yeux sur les mutations des paysages et des écosystèmes qui nous entourent. S’appuyant sur ses images, il dialogue ici avec notre directeur de la rédaction Alexandre Lacroix.

 

Recharge d’âme

© Nicolas Villaume
© Nicolas Villaume

Nicolas Villaume : Nous sommes en Alaska, au-dessus du cercle arctique, en compagnie de Jimmy John, un chasseur gwich’in. Il vient d’installer son bivouac, très précaire, une simple bâche soutenue par des branches. Il fait cuire un morceau de viande de caribou pour le dîner. Le nom de Gwich’in signifie littéralement le « peuple des caribous », ces gens vivent de la chasse. Cependant, leur équilibre économique, lui aussi très précaire, est menacé parce que les routes migratoires des caribous sont en train de dévier, sous l’effet du réchauffement climatique. Ils ont beaucoup moins de gibier sur leur territoire. J’ai pris cette photographie en 2008. Dans ces régions polaires, le réchauffement était déjà une réalité palpable, alors que les Européens, dans leurs zones tempérées, peinaient à en prendre conscience. Si les arbres qui entourent Jimmy John sont penchés – ce qui leur vaut le surnom de « drunken trees », « arbres saouls » –, c’est que, du fait de la fonte du pergélisol, leurs racines plongent désormais dans un sol meuble. Jimmy John connaît si bien son écosystème qu’autour de chez lui, il identifie la place de chaque arbre, ce qui lui permet de détecter la présence d’un animal au premier coup d’œil. La civilisation technique n’est cependant pas absente de cette image, dans laquelle vous remarquerez aussi une motoneige.

 

Alexandre Lacroix : Comme beaucoup de peuples amérindiens et du Grand Nord, les Gwich’in sont des chasseurs animistes. Ce peuple a fait l’objet d’une étude récente et marquante en anthropologie, puisque Nastassja Martin l’évoque dans Les Âmes sauvages [lire Philosophie magazine n° 162]. Ce terrain anthropologique a été mené à partir du cadre théorique proposé par Philippe Descola dans Par-delà nature et culture [2005], qui donne quelques clés pour entrer dans la vision du monde animiste. Selon Descola, la compréhension des êtres non humains propre aux cultures animistes est symétrique de la nôtre. Nous autres Occidentaux sommes naturalistes, nous considérons que les humains et les animaux sont identiques par leur anatomie (nous avons des yeux, un cœur, du sang en partage avec bien des espèces), tandis que seuls les humains auraient une âme. Pour les animistes, tous les vivants, et même certains non-vivants, ont une âme, et les corps sont des habits, tous différents. Les Gwich’in ont donc une communauté d’âme avec les caribous, et, lors des rêves animiques, des dialogues s’établissent. Avec un léger accent dramatique, on pourrait dire que cette image nous présente l’animisme vaincu par le naturalisme : ces arbres qui penchent, ces caribous devenus plus rares indiquent que le monde se désanime autour de Jimmy John. 


Ce qui naît

© Nicolas Villaume
© Nicolas Villaume

N. V. : Allongé sur le sol, j’ai pris cette photographie en contre-plongée à Ampay, au Pérou, dans une forêt qui a le statut de « sanctuaire ». Elle jouit donc d’un niveau de protection supérieur à celui des parcs nationaux. C’est une forêt où il n’y a pas de sentiers, tapissée d’une espèce d’arbres endémiques que les populations locales appellent intimpas. Au cœur de cette forêt, non loin de l’endroit où j’ai pris ce cliché, se trouve un arbre sacré, le Taïta – « père » – intimpa, gigantesque, dont l’emplacement n’est connu que de quelques autochtones – cela ne va pas sans évoquer le premier volet d’Avatar, avec l’Arbre des Âmes, sacré pour les Na’vis. Les gardes forestiers font en sorte de brouiller les pistes, d’entraver les accès par des empilements de branches, car ils redoutent les déprédations que créeraient les promeneurs, par exemple en gravant leurs initiales sur ces troncs. 

 

A. L. : Dans le Phèdre de Platon, le jeune Phèdre conduit Socrate hors des murs de la cité, entre les oliviers, et il lui fait remarquer qu’il marche de manière mal assurée, comme quelqu’un qui connaîtrait mal les lieux, comme un étranger. Socrate lui répond qu’il ne sort jamais de la ville et s’en explique ainsi : « C’est que la campagne et les arbres ne souhaitent rien m’apprendre. » Cette façon dont Socrate rejette l’immersion dans un milieu naturel va fixer pour longtemps une certaine attitude philosophique, selon laquelle seul mérite notre attention le logos – ce qui est exprimable par le langage, oral ou écrit. Cependant, on sent dans cette image qu’on touche à une autre expérience fondamentale, qui a peut-être le mérite de rajuster nos sensations ou de nous présenter les limites mêmes du langage. Être dans une forêt, explique Gaston Bachelard, philosophe épris de la campagne, dans sa Poétique de l’espace [1957], c’est découvrir un « infini intime », par opposition à l’infini lointain et inaccessible du ciel étoilé ou de l’horizon maritime. Le fait que nous soyons dans un sanctuaire n’est pas indifférent : nous vivons et traversons des écosystèmes intensément transformés par l’activité humaine, et un site comme celui-ci s’approche de ce qui est devenu très rare, c’est-à-dire de la nature intacte. En réalité, les effets du réchauffement climatique pèsent même sur cette forêt, donc cette vision d’une nature préservée tient du fantasme. « Nature » vient du latin nascor, « ce qui naît » : ce que l’on voit ici, c’est une prolifération de formes, de feuilles, de branches, que n’ordonne aucun logos ni aucune géométrie, et c’est peut-être là, n’en déplaise à Socrate, un bon support pour réfléchir au pouvoir de la pensée. Celle-ci a-t-elle vraiment prise sur ce qui naît, ce qui apparaît sans cesse autour de nous sans avoir été dessiné ni décidé ? Le réel n’est-il pas au contraire en excès sur le pensable ?

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