Pourquoi jardine-t-on ?

Pour nouer des liens avec autrui / Épicure (341-270 av. J.-C.)

On se figure souvent le jardinage comme une activité solitaire. Mais nul n’est tenu de converser exclusivement avec des bégonias ! Épicure a bien saisi les vertus sociales du « Jardin » – nom de l’école philosophique qu’il a fondée près d’Athènes. Si l’on ignore dans le détail quelles plantes y poussaient, on raconte que ses membres formaient une communauté soudée pratiquant volontiers l’entraide matérielle. L’amitié est en effet la principale vertu épicurienne : « Parmi les choses dont la sagesse se munit en vue de la félicité, de beaucoup la plus importante est la possession de l’amitié. » Entre le Jardin d’Épicure et les jardins partagés actuels, il n’y a qu’un pot !

Pour se préparer à mourir / Montaigne (1533-1592)

Y  a-t-il plus bel endroit qu’un luxuriant jardin pour mourir ? Retiré dans son château du Périgord, Montaigne se voyait bien finir ses jours ainsi : « Je veux que la mort me trouve plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin. » Il ne redoute pas tant la mort que le cérémonial et les lamentations qui l’accompagnent. Notre passage sur Terre est nécessairement furtif et imparfait, il ne sert à rien de s’en plaindre. Une belle mort consiste à être surpris en pleine activité – « Nous sommes nés pour agir » – et à disparaître humblement : « Il faut faire comme les animaux qui effacent la trace à la porte de leur tanière. »

Pour s’exercer au bonheur / Voltaire (1694-1778)

« Il faut cultiver notre jardin », professe Candide dans le célèbre conte de Voltaire. Dans la mesure où il est une forme de travail, le jardinage « éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». Vivre en autarcie, comme le Turc heureux qui subjugue Candide mais aussi Voltaire qui s’était exilé dans son château de Ferney, est un choix qui rend concrètement heureux. Ce loisir opère aussi comme une parabole sur le soin que les humains doivent accorder à leur âme : « Chacun se mit à exercer ses talents. La petite terre rapporta beaucoup. » Le jardinage serait-il la preuve que l’on vit dans « le meilleur des mondes possibles » ?

Pour se reconnecter avec le monde / Arne Næss (1912-2009)

Retrouver un lien avec la nature qui ne soit pas de l’ordre de l’exploitation, tel est le vœu formulé par le philosophe écologiste Arne Næss. Cet adepte des séjours en solitaire dans les fjords norvégiens possédait « un jardin de 8 mètres carrés » lui offrant mille et une occasions de s’émerveiller : « Il y a une sorte d’égalité de statut entre les organismes. On comprend alors les écosystèmes et l’on se représente soi-même comme faisant partie de ces écosystèmes. » Observer la vie d’un potager permet ainsi « de s’approfondir soi-même et de prendre soin de la planète ». Qu’il soit professionnel ou amateur, le jardinier fait toujours d’une pierre deux choux.