“L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage”
C’est sur une couleur – le vert – qu’a misé Emmanuel Macron dans cet entre-deux-tours. Le candidat sortant entend rallier une partie de l’électorat écologiste, dispersé entre le vote Jadot et (surtout) le vote Mélenchon. En déplacement à Marseille, il a promis la désignation d’un Premier ministre chargé de la « planification écologique » – reprenant mot pour mot le programme de la France insoumise. Greenwashing !, ont répliqué associations et groupes militants.
Peut-on attendre d’un candidat libéral des mesures assez radicales pour lutter contre le dérèglement climatique, qui se montre toujours plus inquiétant ? Un slogan ancien est remobilisé pour critiquer cette stratégie : « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage. » Décryptage d’une expression qui en dit long.
L’origine d’une expression
C’est à Chico Mendes (1944-1988), militant syndicaliste brésilien et défenseur des seringueiros, les travailleurs des plantations d’hévéa, que l’on doit la première formulation de l’expression : « L’environnementalisme sans lutte des classes, c’est du jardinage ! » (« Ecologia sem luta de classes é jardinagem »). Figure de proue de la lutte contre la déforestation de l’Amazonie, il s’attira l’hostilité de Darcy Alves Pereira, propriétaire terrien et éleveur de bétail, qui commandita son assassinat le 22 décembre 1988.
Anticapitalisme et écologie
Si, pour Mendes, combats écologiques et anticapitalistes ne peuvent aller l’un sans l’autre, cette convergence est moins évidente qu’il y paraît. D’un mouvement l’autre, l’accent n’est pas mis, historiquement, sur les mêmes éléments. L’anticapitalisme déployé par Marx est d’abord une hostilité à la concentration des richesses entre les mains d’une oligarchie économique. Son horizon est celui d’une répartition juste de la richesse produite, selon le rôle joué par chacun dans le système de production. De ce point de vue, l'anticapitalisme n’est pas hostile par principe au productivisme, au culte de la croissance (en témoignerait l’exemple de l’URSS et de sa politique planificatrice, dont la logique n’avait rien d’écologiste par principe, au contraire…). C’est précisément ce productivisme qui est en cause dans la pensée écologique (et, en particulier, la quantité d’énergie nécessaire pour alimenter cette machine productiviste). L’écologisme fait davantage porter les luttes sur un changement profond de notre rapport aux ressources terrestres, et en premier lieu au vivant – plus que sur les rapports de production.
Écologie marxiste, écosocialisme
Nombreux sont les penseurs, comme Michael Löwy, qui se sont cependant efforcés de concilier les deux approches au sein d’un véritable écosocialisme. En puisant en particulier chez Marx lui-même, pour montrer que s’y trouvent les ferments d’une critique de l’exploitation aveugle des ressources naturelles. C’est notamment le cas de John Bellamy Foster, auteur de The Return of Nature: Socialism and Ecology (2020), qui revient sur l’idée marxienne de « fracture métabolique » et rappelle ce passage du Manifeste du parti communiste (1848) : « Chaque progrès de l’agriculture capitaliste est un progrès non seulement dans l’art d’exploiter le travailleur, mais encore dans l’art de dépouiller le sol ; chaque progrès dans l’art d’accroître sa fertilité pour un temps, un progrès dans la ruine de ses ressources durables de fertilité. Plus un pays […] se développe sur la base de la grande industrie, plus ce procès de destruction s’accomplit rapidement. La production capitaliste ne développe donc la technique […] qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travail. » Pour Bellamy Foster, le désastre écologique est une conséquence parmi d’autres du développement de la machine capitaliste. Paul Guillibert ira plus loin, et cherchera, dans Terre et Capital (Éditions Amsterdam, 2021), à « redéfinir le capitalisme à partir de son rapport aux natures qu’il transforme, à son régime écologique » – comme un système intrinsèquement destructeur, qui ne peut en aucun cas être vert et doit être renversé pour sauver la planète.
Classe sociales, classes géosociales
En dépit de ces efforts, les lignes de tensions persistent entre des courants aux cultures militantes qui ne se superposent que partiellement. En témoigne la récente polémique entre Frédéric Lordon et Bruno Latour. Pour Lordon, l’écologisme latourien qui s’émeut du sort des vivants est une inflexion de l’idéologie bourgeoise occultant les enjeux réels de la lutte des classes : « La destruction capitaliste de la classe ouvrière n’intéressait pas la bourgeoisie culturelle, il était donc simple et logique de la passer sous silence. Celle de la planète est plus difficile à évacuer, impossible de ne pas en dire “quelque chose”. Mais quoi – qui ne portera pas trop à conséquence ? » Et d’accuser les latouriens d’éviter, de bout en bout, une véritable « mise en cause du capitalisme », et de promouvoir des mesurettes symboliques qui empêchent d’empoigner la dimension systémique de la crise capitalistique. Latour répliqua indirectement, soulignant l’obsolescence de la lutte des classes sociales, à laquelle doit se substituer une lutte des « classes géosociales », et dénonçant le grand récit prophétique de « l’intelligentsia de gauche », qui rend impossible l’enracinement local des luttes. « L’anticapitalisme est une mythologie révolutionnaire typique du XXe siècle, proprement u-topique », sans lieu, sans ancrage dans les enjeux terrestres. Il reconduirait, de ce point de vue, les logiques de la métaphysique occidentale qui sont au coeur de la crise écologique. Entre écologie et anticapitalisme, la convergence est encore à construire. Si l’on se représente aisément une écologie qui s’en tiendrait au jardinage, reste certainement à imaginer une écologie anticapitaliste. Car cette écologie de rupture nous fait basculer dans un tout autre monde, dont il est sans doute impossible d’anticiper complètement l’allure.
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