Pourquoi aimons-nous tellement la neige ?

Les premiers flocons de neige de la saison sont tombés en plaine cette semaine. Et comme à chaque fois en cette occasion, l’enthousiasme était général. Pourquoi la neige nous rend-elle heureux ? La réponse des philosophes et des poètes.

« Sur tout cela maintenant je voudrais / Que descende la neige », s’exclame Philippe Jaccottet dans À la lumière d’hiver (1977). Comme le poète, nous sommes nombreux à attendre l’« apparition surnaturelle » de cette « merveille brève », comme « la venue d’une divinité, un bonheur léger et pur ». Mais pourquoi donc la neige nous fascine-t-elle tant ?

La fascination de l’insaisissable

Peut-être d’abord parce que la neige nous échappe, nous dépossède. Pour la plupart d’entre nous, la vie est affaire quotidienne de contact terrestre avec une matière solide, consistante, que nous transformons à coups d’effort et de travail. La neige inverse ces rapports. En elle, nous laissons derrière nous des traces involontaires. Mais lorsque nous entreprenons de la manier, elle nous file entre les doigts. Comme le note Sartre dans L’Être et le Néant (1943), « sa solidité fond en eau : j’enfonce dans la neige jusqu’aux genoux ; si je prends de la neige dans mes mains, elle se liquéfie entre mes doigts, elle coule, il n’en reste plus rien : l’en-soi se transforme en néant. Mon rêve de m’approprier la neige s’évanouit en même temps ». Je suis incapable de « faire quelque chose » avec cette neige, de lui imposer un dessein, un projet.

Le philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa le dit également dans Rendre le monde indisponible (La Découverte, 2020) :

“La neige est littéralement la forme pure de la manifestation de l’indisponible : nous ne pouvons pas entraîner sa chute ou dicter sa venue, pas même la planifier à l’avance avec certitude, du moins pas sur la longue durée. Et plus encore : nous ne pouvons pas nous rendre maîtres de la neige, nous l’approprier. Quand nous la prenons en main, elle nous glisse entre les doigts, quand nous la rapportons à la maison, elle fond et, si nous la plaçons dans le congélateur, elle cesse d’être de la neige. [Avec la venue de la neige se produit] quelque chose de farouche, de rare, qui vient nous visiter, qui ploie et transforme le monde autour de nous, sans que nous y soyons pour quoi que ce soit, comme un cadeau inattendu”