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© Bharat Patil/Unsplash

Environnement

Pollution lumineuse : le bannissement de la nuit

Octave Larmagnac-Matheron publié le 14 décembre 2021 4 min

85% : c’est la proportion de l’Hexagone touchée par la pollution lumineuse, selon un rapport de l’Observatoire national de la biodiversité. Un chiffre en constante augmentation. Ainsi, en Île-de-France, le nombre de « points lumineux » s’est accru de 85% en vingt-cinq ans, selon une étude de l’Institut Paris Région. Même tendance aux quatre coins du monde, du moins pour les zones urbaines. « La disparition de la nuit a déjà commencé depuis plusieurs années », et ne cesse de s’aggraver, résumait il y a peu Anne-Marie Ducroux, présidente de l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes.

Problèmes hormonaux, fatigue chronique, dérèglements des cycles de vie de la végétation, perturbation des migrations animales… les nombreux dangers de la pollution lumineuse sont encore mal connus. L’essayiste tchèque Erazim Kohák y voyait, pour sa part, une rupture anthropologique inquiétante.

 

  • Déjà en 1984, l’« écophénoménologue » tchèque Erazim Kohák s’inquiétait, dans The Embers and the Stars (non traduit en français), de l’accroissement quantitatif de la pollution lumineuse. Ses arguments sont multiples. Le premier est esthétique, d’abord : « La pollution lumineuse plonge les étoiles dans l’obscurité. » Nos yeux, captivés par la lumière criarde de nos villes terrestres (et de plus en plus, des innombrables satellites que nous envoyons dans l’espace), sont désormais incapables de percevoir le scintillement discret, timide, des astres. Nos lumières font écran aux lumières de la nature. Elles oblitèrent aussi les rythmes naturels qu’expriment les transformations de ces lumières, à commencer par les variations quotidiennes de la Lune, « le cycle le plus obscurci par la lumière de la ville ». La « pure lumière […] indifférenciée », invariable, de nos milieux urbains nous place dans un espace « uniformément éclairé », où le temps lui-même semble s’être arrêté. À la nuit, se substitue alors « l’illusion d’un jour perpétuel ».
  • Le problème, pour Kohák, n’est donc pas seulement quantitatif. « Dans la cité globale de notre civilisation, enserrée par nos lignes à haute tension, nous avons aboli la nuit. Ici, l’éclat de la lumière électrique propage le jour qui ne pardonne pas au cœur d’une nuit sans repos, à la lueur sinistre du néon. » Ce phénomène constitue une rupture historique, d’après l’auteur : « Tant que nos lumières ne signifiaient rien d’autre qu’une lampe à huile, […] la nuit était si vaste et nos lumières si faibles qu’il n’y avait pas à craindre pour l’intégrité de la nuit. Une lampe à huile ne viole pas la nuit. La maison est toujours obscure et en paix. » La lumière artisanale telle qu’elle a existé pendant des siècles, « lancée dans la nuit et non contre la nuit », ménage l’obscurité, et en un sens, il faut même dire qu’elle la révèle, qu’elle la rend visible.
  • La logique s’est transformée. Nos lumières servent « génériquement à bannir la nuit », au point qu’observer une nuit parfaitement sombre relève souvent de la gageure. Nos lumières sont l’expression d’un projet qu’on peut dire tyrannique, poursuit le penseur tchèque : elles « inondent les pièces où nous vivons, nous conférant un pouvoir divin » d’exclusion des ténèbres. Kohák s’efforce de comprendre le fondement de cette rupture historique : « Nous voyons le gain […] Nous sommes des créatures du jour, nous nous situons dans le monde par la vue plus que par tout autre sens. Nous pensons le savoir comme vision. » Le rêve, de plus en plus réel, d’un jour perpétuel s’enracine dans une hubris de domination, de contrôle.
  • Erazim Kohák est toutefois plus réticent à considérer que ce projet moderne serait la conséquence d’une peur originelle de la nuit. Il faut, de son point de vue, renverser les termes : c’est à cause de ce projet de maîtrise, qui vise un « triomphe » final sur la nuit, que « la nuit en est venue à nous apparaitre étrangère et menaçante, un ennemi à bannir, et non plus un lieu où être ». Non que la nuit aurait été vécue comme un espace absolument accueillant, en amont de l’histoire. Mais l’être humain entretenait du moins, alors une familiarité avec le monde nocturne. Notre logique moderne d’exclusion n’a fait qu’accroître notre angoisse des ténèbres. Notre « esseulement », aussi : si la nuit creuse, entre soi et autrui, un espace insondable, abyssal, où nous faisons l’épreuve de la « solitude », cette solitude est beaucoup plus douce que l’« isolement » d’une vie exposée en pleine lumière, où tous les êtres sont réduits à des objets juxtaposés les uns à côté des autres.
  • Le bannissement de la nuit constitue donc un danger existentiel. « La moitié de notre temps sur terre appartient, de fait, à la nuit. […] Il doit aussi y avoir de la nuit », si nous voulons nous ressourcer, nous oublier, nous échapper, nous délivrer de la marche automatique et utilitaire du monde. Il nous faut réapprendre à recevoir le « don de la nuit ». Non en se passant de technologie, mais en reconduisant ces technologies à ce qu’elles devraient être : des « manières d’habiter en paix avec la nuit ».
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