Bienvenue dans l’ère de l’Anthropocène !
Que nous ne soyons plus seulement les habitants de la planète, mais aussi ses artisans ne fait plus de doute. Depuis lundi, un groupe de scientifiques, composé de géologues, d’océanographes, de climatologues, a décidé d’établir la fin de l’ère de l’Holocène, commencée après la dernière glaciation, il y a une dizaine de milliers d’années. Réunis à l’occasion du 35e Congrès géologique international, qui s’est tenu au Cap (Afrique du Sud) du 27 août au 4 septembre 2016, ils ont décidé d’entériner le début de l’Anthropocène, cette ère dans laquelle l’humain est reconnu comme la principale force géologique sur Terre.
Sédimentation
La discussion se poursuit depuis des années afin de savoir s’il est opportun de faire de cette période historique sur laquelle tout le monde s’accorde (au même titre que la Renaissance) une réalité géologique (au même titre que le Jurassique, par exemple). Dès 1992, le journaliste américain Andrew Revkin évoque la nécessité de donner un nom à cette période. On doit au prix Nobel de chimie Paul Crutzen de lui donner forme en 2002 : il propose de nommer cette période, qu’il fait débuter avec la première machine à vapeur en 1784, l’Anthropocène.
Cependant, cette date symbolisant l’utilisation à grande échelle des énergies fossiles et donc l’accélération des rejets de gaz à effet de serre, ne fait pas l’unanimité. « Il y a débat parmi les géologues, précise Elizabeth Kolbert, auteur de La Sixième Extinction (Vuibert, 2015). Certains affirment que l’Anthropocène survient aussitôt que l’homme migre autour de la Terre en déplaçant des plantes et des animaux, et que la “surchasse” pourrait expliquer la disparition des animaux géants, la mégafaune de la fin du dernier âge glaciaire. » D’autres font remonter l’Anthropocène à près de neuf mille ans, avec les débuts de l’agriculture et du défrichage à grande échelle, à la fin du XVIe siècle ou à la révolution industrielle, au milieu du XIXe siècle. Mais une majorité des membres du groupe de travail réunis au Cap opte pour le milieu du XXe siècle, coïncidant avec la sédimentation de traces humaines, notamment d’éléments radioactifs du fait des essais nucléaires, mesurables sur les cinq continents, dans les fonds marins, sur terre comme dans les roches.
Pour le philosophe des sciences Bruno Latour, auteur de Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique (La Découverte, 2015) :
« La nouveauté liée à l’Anthropocène, c’est la notion de “Grande Accélération” proposée par certains de ces géologues : toutes les périodes géologiques, le Quaternaire, le Pléistocène ou l’Holocène dont nous serions peut-être sortis, ont en commun d’avoir été très longues, de s’être étendues sur un grand nombre d’années. L’Anthropocène correspondrait à un changement de la composition des sols terrestres survenu en très peu de temps, quelques siècles. C’est, en soi, stupéfiant. […] En gros, plus vous êtes de droite, ou hostile à l’écologie, plus vous faites démarrer l’Anthropocène en un temps éloigné. Certains vont jusqu’à dire que l’Anthropocène a débuté avec l’extinction de la mégafaune – des grands mammifères, des mammouths –, donc avec la montée en puissance de l’Homo sapiens et de ses chasses. Si vous adoptez une telle perspective de temps, notre civilisation technologique avancée n’aurait pas plus d’impact environnemental que ces chasses du Néolithique, toutes les époques se trouvant plus ou moins sur le même plan. Si vous êtes de gauche, vous aurez au contraire tendance à dire que l’Anthropocène a débuté très récemment, afin d’en tirer un argument critique contre le capitalisme industriel mondialisé. »
Élargissement de l’horizon
Avant que la recommandation du groupe de recherche ne soit cependant officiellement adoptée, deux à trois ans pourraient s’écouler, le temps que l’entrée dans cette nouvelle ère soit reconnue par les différentes commissions géologiques international. Car si ce changement d’ère géologique n’aura pour beaucoup d’autre effet que d’acter une réalité en dramatisant un peu plus encore l’urgence à prendre conscience des conséquences de nos actions, il aura surtout des conséquences pour tous les scientifiques qui se servent de cette échelle des temps géologiques pour avancer dans leurs recherches.
Il reste, comme le dit Bruno Latour avec passion, qu’aujourd’hui « des géologues et des chimistes sont en train de faire de l’Histoire. Ils donnent une historicité à la planète. Ce n’est pas rien, car jusqu’ici nous avons surtout une Histoire de l’humanité. Nous sommes en train de vivre un fantastique élargissement de notre horizon. » Bienvenu dans l’ère de l’Anthropocène, une ère géologique plus poltiique que jamais.
Cette notion est au cœur des controverses sur l’environnement. Mais en affirmant que notre activité façonne la géologie – et le monde –, qu’avait en tête son créateur, l’ingénieur Paul Crutzen ?
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