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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Pierre Zaoui en 2019. © Franck Ferville pour PM

Les philosophes face à la guerre

Pierre Zaoui : “Quand j’allume mon chauffage, j'ai parfois l'impression que le sang des enfants ukrainiens coule dans mes radiateurs”

Pierre Zaoui publié le 06 avril 2022 5 min

Face à la guerre menée par la Russie sur le sol européen, il est plus que jamais indispensable de parvenir à comprendre à ce qui nous arrive, sur le plan politique, social, mais aussi existentiel, éthique et métaphysique. Nous avons demandé à plusieurs philosophes de nous livrer leurs réflexions.

Aujourd’hui, le philosophe Pierre Zaoui, spécialiste de Spinoza et du libéralisme politique, témoigne de manière très personnelle des émotions qu’il ressent depuis le début du conflit. Loin de dénigrer ces affects nombreux qui le traversent, y compris les passions tristes (rage, amertume…), il en fait un atout pour penser la tragédie et tenter de lutter contre la tyrannie.

 

« Depuis le 24 février, je suis submergé d’émotions aussi remuantes que parfaitement communes. Une compassion viscérale pour le peuple ukrainien qui ne mérite en rien ce déluge de feu ; une immense admiration aussi, pour ce peuple capable de prendre les armes pour défendre sa liberté, la définition depuis les Grecs d’un peuple libre, et aussi pour les opposants russes qui manifestent encore à Moscou et ailleurs avec non moins de courage. De la colère aussi, le désir ardent de placarder de l’Atlantique à l’Oural un nouvel “Ultimi barbarorum”. Mais tout autant de la honte, en pensant que c’est un peu nous qui finançons cette sale guerre en achetant à la Russie ses hydrocarbures (assez névrotiquement, j’ai même parfois le sentiment qu’à chaque fois que j’allume mon chauffage, c’est le sang des enfants ukrainiens qui coule dans mes radiateurs).

Aussi un peu d’amertume, quand je pense aux Tchétchènes et aux Syriens qui ont déjà fait l’épreuve de cette brutalité inhumaine sans qu’on s’en émeuve aussi massivement qu’aujourd’hui, ce qui aurait tout de même permis de gagner du temps dans la constitution d’un front anti-Poutine un peu sérieux (face à cette amertume, ne crions même pas au racisme, c’est la triste mais éternelle loi de la nature humaine qui veut que la sympathie du plus grand nombre croisse avec la proximité et la ressemblance). Et sans doute encore une terreur encore mal élaborée face à la levée du tabou nucléaire (je dis mal élaborée parce qu’elle m’apparaît à la fois légitime – c’est assez inouï ce que dit Poutine sur la possibilité de frappes nucléaires, Günther Anders doit en faire des toupies dans sa tombe – et indécente – tant ce n’est qu’une peur théorique face aux bombes réelles mais conventionnelles que reçoivent chaque jour les Ukrainiens sur la tête).

La froideur des tyrans

Bref, je crois que je suis un spectateur très ordinaire de ce conflit ; les philosophes classiques diraient que je suis emporté par les passions vulgaires, et notamment par la rage impuissante. Et pourtant, il ne me semble pas certain qu’il soit très sage d’essayer d’échapper trop vite à de telles émotions communes. D’abord parce que la froideur, l’absence presque complète d’empathie et d’humanité au sens le plus commun du terme, est justement ce qui caractérise des hommes tels que Poutine. Hannah Arendt y voyait même le propre de tous les bureaucrates totalitaires – et Poutine semble bien être la monstrueuse synthèse d’un triple héritage d’une part grand-russien et tsariste, d’autre part soviétique et plus précisément même tchékiste, à en croire des historiens comme Emmanuel Droit, et enfin fasciste ou post-fasciste, à en croire l’idéologie des milieux ultra-nationalistes sur lesquels il s’appuie.

Dans tous les cas, la froideur n’est sans doute pas l’absence d’émotions, mais semble plutôt exprimer la pire de toutes : la volonté de puissance nue, celle qui ne connaît aucun amour et ne se nourrit que de la haine qu’on lui porte, celle qui ne connaît aucun égal mais seulement des seigneurs et des vassaux, celle qui ne jouit que de vouloir indépendamment de ses objets et de ses manières, celle qui est prête à exterminer tout ce qui s’oppose à elle, à l’intérieur comme à l’extérieur, celle qui préfère vouloir le néant plutôt que de ne rien vouloir du tout (car hors du champ de la guerre, Poutine ne peut rien vouloir en termes de puissance : culturellement, c’est un pays ravagé ; économiquement, il a le PIB de l’Italie ; et socialement, il ne peut faire que pâle figure face à l’URSS aimée/honnie).

Les passions au service de la raison

La raison dépassionnée ne peut tout simplement pas comprendre ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine comme ce qui s’est passé entre 2013 et 2017 en Syrie. Elle ne le peut pas en tant que raison calculatrice et hobbesienne qui ne peut que conseiller de se soumettre au nouveau Léviathan. Et je suis sûr que tous les logiciels nourris de théorie des jeux qui doivent tourner à plein régime dans tous les états-majors occidentaux ne peuvent sortir, toujours, que le même résultat : il ne faut pas faire la guerre à Poutine.

Or, depuis la Tchétchénie, la Géorgie, la Syrie, le Donbass, l’œuvre de Poutine est l’œuvre de la tyrannie dans son essence la plus exemplaire : la même violence aveugle, le même ubris furieux (la sainte Russie en rédemptrice de l’humanité), le même mépris du droit et de la question de la légitimité, la même absence de considération pour les vies individuelles, et l’idéologie réduite à l’os du mensonge et de la propagande, c’est-à-dire réduite à la simple représentation renversée de la réalité dans laquelle l’agresseur devient l’agressé, les victimes (les Ukrainiens) des nazis, les bourreaux (l’armée russe) des héritiers de la grande guerre patriotique, la guerre une simple “opération spéciale” de pacification, et l’immense lâcheté un héroïsme de carton-pâte (car depuis plus de 20 ans, la misérable lâcheté de Poutine ne mène pas de guerre contre des États et des armées structurées, mais contre des peuples ou des États naissants, quand ce ne sont pas des écoles et des maternités).

Faire preuve de courage

Or, contre un tyran qui piétine toute justice, on a bien moins besoin de raison que d’émotions : de terreur, de pitié, de courage, d’enthousiasme et de colère. Les Grecs anciens, qui avaient fondé leur démocratie moins sur des écoles philosophiques que sur des spectacles tragiques, le savaient mieux que personne. Car d’un point de vue pratique, de telles émotions conduisent à une seule maxime : mort au tyran et gloire à tous ceux qui s’y opposent. Quoique, évidemment, face à un tyran doté de l’arme atomique, un tel appel à sa mort ne signifie ni cesser de négocier avec lui, ni lui déclarer la guerre quand on est une puissance nucléaire comme la France.

Il va falloir beaucoup de ruses, de dissimulations et d’opérations secrètes pour venir à bout de Vladimir Poutine. Mais il importe que le but unique reste clair : mort aux tyrans. Et que ses moyens “raisonnables” le soient tout autant : accepter d’abîmer notre industrie et d’avoir un peu plus froid en cessant toute importation d’hydrocarbures russes, fournir des armes défensives à l’Ukraine, et s’apprêter à l’accueillir dans l’Union européenne comme membre de droit et d’honneur. »

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