“Phénoménologie de la danse”, par Christine Leroy
Les philosophes ont peu traité de la danse. Certes, il y a bien le rhéteur-philosophe Lucien de Samosate (v. 120-182), auteur de De la danse, Paul Valéry et sa lumineuse Philosophie de la danse (1936), sans oublier Nietzsche, pour qui une journée sans danse est une journée perdue. Christine Leroy relève le défi.
« Que peut le corps du danseur sur le corps du spectateur, et inversement ? », telle est la question au centre de son ouvrage, porté par de belles analyses de pièces. Pour la philosophe, l’interaction entre le regardé et le regardeur est une évidence : la danse s’adresse à tout le monde, et « le jeu avec la pesanteur dans la danse renvoie chaque spectateur à sa propre expérience de vie, et ce sans les mots ». C’est par cette expérience partagée entre le danseur et son spectateur que Christine Leroy élabore une « phénoménologie de la danse ».
- Au commencement, le danseur dialogue avec la gravité et se démène avec la pesanteur. Chacun fait l’expérience, inconsciemment, à chaque instant, de sa condition corporelle. Ce partage physique est possible grâce à l’empathie, concept hérité de Hume et de Smith (sympathy), et d’Edith Stein. Christine Leroy en redéfinit les contours en empruntant la notion d’« empathie kinesthésique », notion forgée dans les années 1930 par le critique de danse américain John Martin : lorsque nous voyons un danseur en action, « nous reproduisons [le mouvement] par procuration dans notre actuelle expérience musculaire et nous en éveillons les connotations associées comme si le mouvement original était de notre propre initiative ». Les muscles du danseur s’impriment sur ceux du spectateur, non dans la fusion, mais dans une communauté de ressentis psychiques et physiques.
- Surgit alors une « contagion gravitaire » sans contact, qui embrasse le concept de « chair » de Merleau-Ponty, élaboré dans L’Œil et l’Esprit (1960) et Le Visible et l’Invisible (1988) pour la peinture, et repris par Christine Leroy afin d’enrichir la notion d’empathie kinesthésique. « C’est parce que mon corps est entrelacé au monde-spectacle que je suis une chair, et que le monde-spectacle se donne à moi sous forme de vécu charnel. » Le danseur apporte sa chair, un pur esprit ne pourrait pas danser ; le spectateur « s’incorpore le mouvement d’autrui ». « Le voir déploie […] la motricité du corps ; la kinesthésie joue un rôle fondamental dans la constitution de la chair et, au-delà d’elle, dans l’expérience esthétique. » Et c’est l’image du corps qui s’en trouve modifiée, agie et remaniée par les mouvements et les désirs du danseur.
- L’empathie kinesthésique s’ancre dans les chairs vives du danseur et du spectateur, et résonne avec ce que la philosophie contemporaine appelle le care, le soin. Le care résulte ici de la sublimation de la pesanteur du corps. « Le poids est peut-être ce qui fait la jonction entre l’empathie kinesthésique, ou contagion gravitaire, et le désir d’affranchissement par la danse », avance Christine Leroy. En se libérant de la pesanteur, le danseur et le spectateur partagent un exercice de réparation ou de redynamisation du corps. La danse a alors une vocation de care, invitant chacun à participer à une chorégraphie de la condition humaine.
Phénoménologie de la danse. De la chair à l’éthique, de Christine Leroy, préfacé par A. Preljocaj, vient de paraître aux Éditions Hermann, coll. Philosophie. 188 p., 20€, disponible ici.
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