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Gracie Cunningham © Gracie Cunningham. Alexandre Koyré © MP/Leemage.

La grande question

Peut-on aimer les maths pour elles-mêmes ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 29 septembre 2020 3 min

« Je voulais juste vous dire que je ne pense pas que les mathématiques soient réelles. » La formule, lancée au détour d’une vidéo de maquillage publiée sur TikTok, aura suffit à faire de l’influenceuse make up américaine Gracie Cunningham la risée d’internet. À raison ? Plusieurs scientifiques, comme le doctorant Kareem Carr, ont apporté leur soutien à la jeune femme, soulignant qu’elle soulevait une question épistémologique fondamentale – et toujours non résolue. Et Carr d’expliquer sur Twitter que, dans certains cas, 2 plus 2 peuvent faire 5. « Arrêtez vos conneries », a rétorqué dans la foulée Yascha Mounk. Pour le politologue, déréaliser les maths conduit à ébranler « la confiance publique dans les experts et les scientifiques. »

 

La polémique, qui a pris des proportions considérables en l’espace de quelques jours, n’a pourtant pas grand-chose à voir avec le sens que Cunnigham donne à sa formule dans la suite de la vidéo. « Je sais ce que vous allez dire : et Pythagore ? » La TikTokeuse ne remet pas en question la vérité du plus célèbre des théorèmes, car sa question est tout autre : « Comment ? Comment en est-il arrivé là ? Comment commence-t-on à réfléchir à l’algèbre ? Pour quoi en avait-il besoin ? » Et de souligner qu’en dépit de leurs connaissances mathématiques raffinées, le niveau technologique des Grecs n’avait rien de remarquable. Pas de « plomberie », imaginez ! Incompréhensible à notre époque où science et technique sont plus intriquées que jamais. Alors, peut-on vraiment « aimer les mathématiques pour elles-mêmes », comme le disait Stendhal, sans leur chercher d’applications concrètes ?

 

  • Le philosophe français d’origine russe Alexandre Koyré (1892-1964) a posé avec une particulière acuité cette question de l’absence de but de l’activité théorique. Dans son article « Perspectives sur l’histoire des sciences » (1961), il affirme que nous faisons fausse route si nous considérons que les développements scientifiques sont motivés par des impératifs techniques : « L’interaction entre la théorie et la pratique, la pénétration de la seconde par la première et vice versa, l’élaboration théorique de la solution des problèmes pratiques […] me semble être un phénomène essentiellement moderne. » Selon l’épistémologue, la technique des Grecs anciens, relativement rudimentaire, est tout autre chose qu’une « science appliquée ». Et réciproquement la théorie, telle qu’elle s’est inventée notamment à Athènes, est une activité gratuite, désintéressée. Elle « a, et a toujours eu, une vie propre », indépendante des exigences de résultat. Ce qui explique qu’en dépit de leurs connaissances théoriques poussées, les Grecs n’aient pas été de grands techniciens.
  • Peut-on vraiment faire remonter les mathématiques à la Grèce, alors qu’on trouve des éléments d’algèbre et de géométrie dans la plupart des civilisations anciennes ? Oui, pour Koyré, dans la mesure où les mathématiques antérieures servaient toujours un certain but : « Ce ne sont pas les harpédonaptes [géomètres] égyptiens, qui avaient à mesurer les champs de la vallée du Nil, qui ont inventé la géométrie : ce sont les Grecs, qui n’avaient rien à mesurer qui vaille ; les harpédonaptes se sont contentés de recettes » pour atteindre certains objectifs pratiques. C’est là toute la différence. Alors que « les sociétés […] n’apprécient généralement que fort peu l’activité purement gratuite », la Grèce antique a offert – à une classe privilégiée de penseurs – la possibilité de s’occuper de théorie pour elle-même.
  • Cette révolution de la théorie marque la découverte de l’abstraction, le passage du réel à la liberté du possible, du virtuel. Avec l’abstraction, l’homme se libère en effet des pesanteurs et des nécessités du monde physique, de la physis qui préoccupait tant les présocratiques, et s’ouvre à un nouvel espace illimité et indéfini. Un vertige des possibles qui est au coeur même du pouvoir de fascination exercé par les mathématiques. X, l’inconnue des équations, qui peut prendre toutes les valeurs sans en posséder jamais aucune, représente au mieux cette nouvelle manière de penser inventée en Grèce.
  • Dépourvue de but extérieur, l’activité purement théorique est, en ce sens, l’objet d’un plaisir intrinsèque à la « recherche de la vérité » – laquelle exprime « l’esprit humain dans ce qu’il a de plus haut », selon Koyré. Difficile, cependant, de qualifier précisément ce plaisir, cette joie, ce bonheur propre à la théorie. Pour de nombreux penseurs - notamment Bertrand Russell (« Les mathématiques, considérées à leur juste mesure, possèdent non seulement la vérité, mais la beauté suprême ») –, l’enthousiasme suscité par l’architecture théorique est comparable au plaisir esthétique. La démonstration mathématique serait, en ce sens, comparable à une oeuvre d’art. Et tout aussi ineffable ?

 

Quant à dire si les mathématiques sont réelles, c’est une autre question
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