“Les Bijoux de la Castafiore”, hymne à la contingence

La philosophie vous angoisse avec ses systèmes alambiqués, son vocabulaire compliqué et ses phrases obscures ? Et si vous vous laissiez guider par Tintin, Haddock, Tournesol et la Castafiore ? Éthique, politique, épistémologie, métaphysique : les aventures du plus célèbre reporter belge posent d’innombrables questions avec une simplicité déconcertante. Un véritable manuel de philosophie. C’est ce que nous avons essayé de montrer dans notre dernier numéro hors-série, Tintin et le trésor de la philosophie.

Prenez un exemple : la contingence. C’est ce qu’il y a de plus difficile à penser philosophiquement, puisque nous sommes toujours tentés d’inscrire tout événement, si hasardeux soit-il, dans une chaîne de causes, réelles ou imaginaires, qui en rendent raison. Selon Raphaël Enthoven, Les Bijoux de la Castafiore sont entièrement consacrés à cet enjeu. C’est un album dédié à la victoire du hasard sur la Providence. « Chaque fois qu’une piste se dessine, ou qu’un soupçon apparaît, il est immédiatement battu en brèche par le concours de circonstances qui, un instant, nous a donné l’illusion d’un sens. »

C’est aussi un formidable antidote au complotisme. Tournesol, qui ne comprend rien à ce qui se passe autour de lui, le dit magnifiquement : « On annonce un mariage et je suis le dernier à l’apprendre !... On achète des appareils de télévision, et on ne m’en parle pas !... Ici, on tourne un film et personne ne m’en dit rien !... C’est une conspiration !... On me cache tout dans cette maison !... » Or, précisément, il n’y a pas de conspiration : le réel est désordonné et ne conspire à rien d’autre qu’à lui-même. Une seule vérité subsiste, selon Enthoven, dans cet éloge du chaos : celle qui se noue entre Tintin, le Capitaine et les Romanichels, dont Hergé déconstruit subtilement les préjugés qu’on nourrissait à leur endroit dans les années 60. « La reconnaissance par celui qui a besoin d’aide que la main qui lui est tendue est sincère, ou que ce qui est donné est véritablement donné et qu’il ne s’agit pas d’un jeu de dupes, est peut-être, quand on y songe, le seul moment cohérent de cette longue folie. »