Le billet de Catherine Portevin

Pendant que j’y pense/Septembre 2021

Catherine Portevin publié le 2 min

Est-ce bien le moment, en pleine rentrée, de parler de nuits sans sommeil ? Parmi tous les livres captivants qui s’annoncent en librairie et méritent bien quelques heures de veille, il en est un qui, sur une table de nuit, narguera la plus résolue des marmottes. Son titre : Pas dormir (P.O.L, 320 p., 19,90 €). La romancière Marie Darrieussecq nous entraîne dans son monde, celui des insomniaques, des vies sans ombre, des yeux ouverts, trop ouverts. Son livre de chevet à elle est le Journal de Kafka, « saint patron de l’insomnie ». Et c’est bien un journal qu’elle tient elle aussi et alimente de ses lectures, images, rêveries, souvenirs, listes de tout ce qu’elle a essayé pour retrouver le sommeil : « Vingt ans de voyage et de panique dans les livres et dans mes nuits. » Hélas ! elle a une bibliographie sans fin sur l’expérience du « pas dormir » – « j’ai de quoi lire jusqu’à la fin de mes insomnies, note-t-elle […]. La littérature ne parle que de ça. Comme si écrire, c’était ne pas dormir ». Pas dormir est un livre hypnotique, inépuisable, épuisé. Il y a la tête de normalienne, qui passe d’une analyse de Proust se couchant trop tôt aux données scientifiques sur le sommeil ; et puis il y a, pudique, l’exténuée en souffrance qui cherche sans fin ce quelque chose qui pourrait l’empêcher de ne pas dormir. Elle cite Le Monde sans sommeil, écrit par Stefan Zweig en 1914 dans une Europe déjà convulsée par la guerre : « Nul désormais n’est seul avec lui-même et son destin, chacun épie le lointain. Il y a moins de sommeil aujourd’hui dans le monde, plus longs les jours et plus longues les nuits ». Et la veilleuse de conclure : « L’insomnie se nourrit de ce sentiment confus : il y a autre chose. » Après avoir « remué » ses nuits blanches, Marie Darrieussecq dormira peut-être enfin. En attendant, ose-t-on écrire que Pas dormir nous tient en éveil ?

Expresso : les parcours interactifs
Joie d’aimer, joie de vivre
À quoi bon l'amour, quand la bonne santé, la réussite professionnelle, et les plaisirs solitaires suffiraient à nous offrir une vie somme toute pas trop nulle ? Depuis le temps que nous foulons cette Terre, ne devrions nous pas mettre nos tendres inclinations au placard ?
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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