Gérard Garouste, repeindre la kabbale
La Galerie Templon, à Paris, présente l’exposition Gérard Garouste. Correspondances, jusqu'au 19 juin. L'occasion d'aller redécouvrir l'œuvre d’un peintre qui dialogue sans cesse avec la pensée et les penseurs – de Kafka à Marc-Alain Ouaknin en passant par Roland Barthes.
Difficile d’étiqueter Gérard Garouste. Le peintre français rejette l’avant-garde comme posture, mais, s’il excelle dans une forme de classicisme, il n’est pas réaliste non plus. « Je conçois la peinture comme la mise en scène d’un mensonge, écrit-il : si je vous dis que je suis un menteur, est-ce que je suis du côté de la vérité ou du mensonge ? Dans l’art figuratif, il y a une ambiguïté fondamentale, que l’on ne trouve pas dans l’art abstrait. » L’exposition présentée à la Galerie Templon, complétée par un livre d’entretiens et un film, en témoigne. Elle est le fruit d’un dialogue entretenu avec le philosophe Marc-Alain Ouaknin autour de Franz Kafka, mais d’un Kafka d’inspiration kabbaliste, celui des textes à déchiffrer, des mythes et des symboles, l’héritier d’une tradition juive autant qu’une figure de la modernité. L’écrivain des philosophes, en somme, celui dont Emmanuel Levinas disait qu’il était « cette bible du XXe siècle ». Car ses écrits sont une source infinie d’interprétation. À partir de leur lecture et de l’exercice du commentaire, l’herméneutique, Gérard Garouste, qui apprend l’hébreu depuis vingt-deux ans, et son maître Marc-Alain Ouaknin ont d’ailleurs forgé la notion d’« Alt-Neu-Kunst », c’est-à-dire d’art « ancien-nouveau » en yiddish. Selon eux, l’Alt-Neu-Kunst tient de ce que Walter Benjamin nomme « l’image dialectique », où se rencontrent des forces contraires et qui exige une lecture critique. Dans Le Livre des passages, le philosophe note en effet qu’« il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou [que] le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes : l’image est la dialectique à l’arrêt ». Car une image demande de s’y arrêter pour être comprise et saisir les liens hypertextuels qu’elle condense et les associations de pensée qu’elle suscite. Vous verrez ainsi dans les toiles de Gérard Garouste les silhouettes de penseurs, des anamorphoses de Kafka et des créatures inspirées de ses nouvelles. Un motif s’impose, celui des grandes oreilles, déformées jusqu’à représenter de larges pavillons d’écoute. Un tableau évoque également Roland Barthes, qui, dans un article célèbre, décrétait « la mort de l’auteur » au profit de « la naissance du lecteur », qui réécrit le texte à mesure qu’il le lit. Une certaine conception de l’art pictural et littéraire s’expose ainsi : le chef-d’œuvre comme motif d’interprétation inépuisable.
À voir
Alt-Neu-Kunst, un film d’Olivier Garouste
À lire
Vraiment peindre, de Gérard Garouste et Catherine Grenier (Seuil)
Gérard Garouste. Correspondances / Galerie Templon (28, rue du Grenier-Saint-Lazare, Paris IIIe) / Jusqu’au 19 juin 2021 / Entrée libre
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