“Oser dire non” : la résolution de la pensée
Pour 41% des français, « oser dire non » est la résolution de l’année 2022. Ce chiffre, communiqué par une enquête publiée par l’institut de sondage Ipsos le 6 janvier, éclaire une tendance globale : celle de refuser de se faire abuser – par faiblesse, par excès de gentillesse, par disponibilité du temps de travail… « Dire non » constituerait alors une façon de refuser le culte de la « positivité toxique », du grand « oui » à la vie, béat et parfois un peu niais.
Le philosophe Alain, lui, voit la négation également comme un geste intellectuel fondamental : une manière de douter, de soupeser, puis de nier, de décliner ce qui semblait pourtant évident. « Penser, c’est dire non », résumait ainsi l’auteur des Propos sur les pouvoirs (publiés à titre posthume en 1985). Examinons.
- Dire non pour s’imposer. Oser dire non, c’est avoir le courage de s’opposer à ceux qui nous imposent leur volonté. « Les tyrans » et les « prêcheurs », nous dit Émile-Auguste Chartier, dit Alain, ont ceci de commun qu’ils veulent nous faire acquiescer à leur vision des choses, sans nous laisser le temps de la mettre en question, ni de voir si d’autres voies sont possibles. Or, lorsque je « consens », immédiatement « je ne cherche pas autre chose », explique le philosophe : j’abandonne mon propre pouvoir de réflexion. Consentir sans réfléchir est une façon de se perdre soi-même, de s’effacer devant les autres. À l’inverse, la négation peut être une manière d’exister sans se laisser impressionner. Ce n’est pas parce que quelqu’un parle fort, qu’il a du pouvoir ou de l’argent, qu’il faut tout lui céder. C’est la raison pour laquelle, selon Alain, le « non » est « un combat ».
- Dire non pour rester éveillé. « Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire, le réveil secoue la tête et dit non », écrit Alain. Le « yes man » qui dit oui a tout, tout le temps, est semblable au dormeur qui dodeline de la tête ! Il a perdu cette faculté de critiquer ce qu’on lui propose, de décliner une invitation et d’assumer le refus. En acceptant tout, sans faire le tri, il vit comme un somnambule ou une marionnette, à la merci du désir des autres. Faire du « non » une résolution permet de lutter contre l’engourdissement de l’acquiescement permanent. Pour Alain, la négation est un geste semblable à celui de se « frotter les yeux » au saut du lit. Elle dissipe « le brouillard » ambiant de l’aliénation et nous rend acteurs de notre existence.
- Dire non pour prendre le temps de douter. La croyance a quelque chose de confortable, qui peut rapidement devenir dogmatique. Or, nous dit Alain, « réfléchir, c’est nier ce que l’on croit ». Par cette négation, on s’astreint à ne rien tenir pour acquis, à lutter contre l’évidence qui s’offre à notre perception. Par exemple, ce n’est pas parce que je ne vois pas la courbe de la Terre que celle-ci est plate. Nier, explique Alain, c’est oser dire « non, tu n’es pas ce que tu sembles être. Comme l’astronome dit au soleil ; comme dit n’importe quel homme aux images renversées dans l’eau ». Le « non » est un refus du donné immédiat qui laisse place au doute. Il se présente à ce titre comme un geste épistémologique fondamental, qui permet de faire avancer la science.
- Dire non pour apprendre à penser contre soi-même. « C’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même », poursuit Alain. Pour pouvoir dire « non » aux autres, il faut donc commencer par savoir se dire « non » à soi. Car c’est à nous-mêmes et à nos propres pensées que nous avons le plus facilement tendance à dire « oui ». Nous cédons souvent à nos affects, à nos schémas de réflexion habituels sans prendre le temps de les remettre en question, de les examiner. Or, prévient Alain, « qui se contente de sa pensée ne pense plus rien ». Voilà pourquoi le tout premier « non » – et le plus important – est celui que l’on ose se dire à soi-même… Et cette faculté d’accepter de penser envers et contre soi est sans doute la résolution la plus difficile à tenir.
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