Œdipe n’est pas coupable !
Et si Sophocle et Freud s’étaient trompés ? Ce serait assurément l’une des plus grosses erreurs judiciaires de l’histoire de notre civilisation. Après avoir mené de semblables contre-enquêtes, notamment dans Qui a tué Roger Ackroyd ? (Minuit, 2008) et L’Affaire du chien des Baskerville (Minuit, 2010), Pierre Bayard récidive avec Œdipe n’est pas coupable (Minuit, 2021). À l’issue d’une relecture serrée des textes, il entend laver l’honneur de celui qui a été injustement accusé des crimes de parricide et d’inceste. Mais quelles peuvent être les répercussions de ce rebondissement judiciaire sur notre psychisme ?
- Une enquête littéraire qui trouble le rapport entre réalité et fiction. Roman policier ou critique littéraire ? Pierre Bayard a inventé la synthèse de deux genres et sa recette a déjà fait ses preuves. Armé d’autant de minutie que de logique – ainsi que de beaucoup d’esprit et d’humour –, il rouvre les dossiers, relit les textes et mène des enquêtes approfondies pour réviser les procès des personnages de fiction. Étrange procédé, direz-vous ? C’est que Bayard revendique expressément faire partie de ceux qui considèrent que les êtres de papier « ont non seulement une forme d’existence, mais même de conscience » et qu’ils méritent donc qu’on les traite comme des personnes vivantes. Et les mythes n’échappent pas à la règle.
- À qui profite le crime ? Mais dans le cas d’Œdipe, l’affaire est particulièrement grave. Le devin Tirésias, la reine Jocaste, le beau-frère (et roi par intermittence) Créon, le berger de Thèbes : tous les protagonistes sont suspectés, et si ce n’est pas le lieu ici de « divulgâcher » l’identité de celui qui apparaît comme le véritable meurtrier de Laïos aux yeux de Pierre Bayard, soyez certains que son argumentation est suffisamment solide pour éclairer les zones d’ombre d’une accusation trop vite conduite… et semer le doute en vous. Et si, en mettant en scène un abominable parricide (ou prétendu tel) le ou les coupable(s) n’avai(en)t pas réussi à détourner l’attention d’un autre crime, non moins « infâme » mais bien réel celui-là, et antérieur – celui d’infanticide ?
- L’aveu (complexe) d’Œdipe. Bouc-émissaire d’une vaste machination politique, le malheureux Œdipe reste alors ce mystérieux personnage qui avoue le meurtre et se reconnaît coupable sans se révolter. « Comment Œdipe en vient-il à s’auto-accuser ? », s’interroge Pierre Bayard. Il discute à cette occasion avec l’interprétation proposée par le grand spécialiste de la Grèce antique Jean-Pierre Vernant qui, dans un article de 1967 intitulé « Œdipe sans complexe » [consultable gratuitement ici dans son intégralité], avait déjà tenté de disculper l’inculpé au motif que celui-ci « ignore qui sont ses vrais parents ». Sans nier le fait de cette ignorance, elle fait fi de ce que Bayard appelle « la dimension du fantasme, ce scénario inconscient ancré dans notre psyché depuis l’enfance, qui forme une grille de perception du monde et structure nos comportements ». Sans doute Œdipe a-t-il, inconsciemment, éprouvé le désir fantasmatique de tuer son père, et c’est cette haine sourde enfouie en lui qui l’aurait conduit à abonder dans le sens des accusations aussitôt qu’elles ont été portées contre lui. Mais cela ne prouve en rien qu’il ait commis ce meurtre. Et voilà comment le psychanalyste Bayard est appelé à la rescousse de l’avocat-professeur de littérature pour innocenter Œdipe : le niveau symbolique est distingué d’un réel lui-même mêlé d’imaginaire. Affaire classée ?
Œdipe n’est pas coupable, de Pierre Bayard, paraît ce mois-ci aux Éditions de Minuit. 192 p., 16€, disponible ici.
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