Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Sabine Wespieser Éditeur

Le livre du jour

“Milwaukee Blues” : les voix du silence

Océane Gustave publié le 10 novembre 2021 3 min

C’était l’un des quatre derniers livres en lice pour le prix Goncourt, avant que Mohamed Mbougar Sarr ne l’emporte. Le roman Milwaukee Blues (Sabine Wespieser Éditeur, 2021), de Louis-Philippe Dalembert, a tout autant retenu notre attention car il raconte, d’une manière très singulière, la vie d’Emmett, un Afro-Américain dont le destin tragique évoque celui de George Floyd. L’écrivain haïtien emploie une méthode quasi phénoménologique : il montre comment cet homme apparaissait aux yeux de son entourage, dans un récit où s’entremêlent plusieurs voix, et laisse ainsi l’intériorité du personnage presque mystérieuse. Un choix réussi.

 

  • À Franklin Heights, ghetto situé au nord de Milwaukee (dans le Wisconsin, près de Chicago), l’une des métropoles les plus ségréguées du pays, rares sont les élus noirs allant à l’université. Emmett est de ceux-là. Joueur de football américain de talent, il se voit offrir une bourse sport-études et caresse l’espoir d’intégrer la prestigieuse NFL (National Football League). Las, une blessure irréversible brise les aspirations du jeune homme, qui doit retrouver à contrecœur sa ville natale, devenue le rappel acerbe de son rêve avorté. Ce retour est aussi synonyme d’un destin funeste : Emmett y rendra son dernier souffle, la nuque écrasée sous le genou d’un policier. Une scénographie qui rappelle le meurtre de Georges Floyd survenu en mai 2020, et qui avait lancé le mouvement Black Lives Matter.
  • Pour autant, Milwaukee Blues n’est pas une adaptation fictionnelle de l’affaire Floyd. La mort d’Emmett n’est pas le centre de l’ouvrage. Il s’agit moins de figurer la mort que de dire la vie. Pour ce faire, Louis-Philippe Dalembert n’exhume pas l’éventuel journal intime d’un Emmett encore habité par des rêves de grandeur, il relate plutôt des voix. Celles des personnes qui l’ont côtoyé. Ainsi, l’histoire d’Emmett nous apparaît-elle à mesure que se tissent les récits de ceux qui se souviennent de lui, ce qui rend le soudain silence d’Emmett d’autant plus assourdissant. De la douceur nostalgique de son ancienne petite amie Nancy à l’indifférence perfide de l’officier qui lui ôta la vie, les témoignages qui racontent Emmett dans sa complexité évitent l’écueil du storytelling fade.
  • Emmett est à la fois présent et absent. Si l’intériorité du protagoniste nous est à dessein présentée comme inaccessible, on ne saurait cependant conclure à sa pure et simple absence. L’ouvrage est émaillé de sa présence diffuse : non pas seulement parce que l’on parle de lui, mais parce que sa propre voix transparaît malgré tout à travers celle des autres. Ainsi découvre-t-on les doutes qui n’ont eu de cesse de l’animer à propos de son avenir amoureux et professionnel, ou perçoit-on la persistance de blessures vives de l’enfance. Jamais vraiment là et pourtant toujours palpable : Emmett est un héros de facture unique, qui apparaît de manière presque phénoménologique, donc, non pas depuis son intériorité (car elle n’est plus) mais à travers ce que les autres voyaient de lui. 
  • Le blues comme viatique. Au creux de ce portrait en feuilleté d’Emmett s’immisce le blues, genre musical constitutif de l’histoire afro-américaine. Le titre du livre, Milwaukee Blues, fait référence à une chanson de Charlie Poole. On rencontre le blues à d’autres reprises, notamment lorsque le jeune Emmett se met à fredonner dans les couloirs de son école Alabama Blues, bouleversante chanson relatant les meurtres d’Afro-Américains perpétrés par la police et les ségrégationnistes. Comment des paroles aussi lourdes peuvent-elles sortir de la bouche d’un si jeune enfant ? C’est que le bambin Emmett incarne cette jeunesse noire qui se sait déjà, dès la plus tendre enfance, en proie au racisme et à la violence sans bornes. En exprimant l’affliction, le blues rend plus supportable la souffrance, pansant les plaies par sa mélodie : il se fait semblable à un viatique, source de vitalité. Mais c’est précisément cette vitalité que la société américaine annihile chez ses certains de ses citoyens, à qui elle promet pourtant la prospérité et la « poursuite du bonheur ».

 

Milwaukee Blues, de Louis-Philippe Dalembert, est paru cet été chez Sabine Wespieser Éditeur. 288 p., 21€, disponible ici.

Expresso : les parcours interactifs
Comment apprivoiser un texte philosophique ?
Un texte philosophique ne s’analyse pas comme un document d’histoire-géo ou un texte littéraire. Découvrez une méthode imparable pour éviter le hors-sujet en commentaire ! 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
8 min
Anne Dufourmantelle : “Le silence de l’analyste est un silence habité”
Cédric Enjalbert 12 octobre 2016

Philosophe et psychanalyste, auteur d’une “Défense du secret” (Payot, 2015), Anne Dufourmantelle donnera une “leçon” consacrée au “silence dans la…

Anne Dufourmantelle : “Le silence de l’analyste est un silence habité”

Article
9 min
Voltaire en Haïti
30 août 2012

12 janvier 2010 : un violent séisme frappe Haïti, faisant plus de 170 000 morts et ravageant la moitié du pays. Les réactions dévotes provoquent…

Voltaire en Haïti

Article
5 min
Jean-Jacques Cadet : “Il faut se demander qui profite de la zombification moderne du peuple haïtien”
Octave Larmagnac-Matheron 08 octobre 2021

Assassinat du président, limogeage du chef du parquet… La démocratie haïtienne est gangrenée depuis des années par une instabilité…

Jean-Jacques Cadet : “Il faut se demander qui profite de la zombification moderne du peuple haïtien”

Article
2 min
“After Blue. Paradis sale” : planète interlope
Cédric Enjalbert 16 février 2022

Entre science-fiction subversive et western féministe, le réalisateur Bertrand Mandico propose avec son dernier film, After Blue. Paradis…

“After Blue. Paradis sale” : planète interlope

Article
8 min
Georges Nivat : “Chaque jour, l’Ukraine existe davantage”
Georges Nivat 19 mars 2022

Historien de la Russie et du monde slave, auteur notamment d’un livre-somme, Les Sites de la mémoire russe (Fayard, 2007, 2019), Georges…

Georges Nivat : “Chaque jour, l’Ukraine existe davantage”

Article
18 min
Kwame Anthony Appiah : “L’antiracisme, ce n’est pas faire comme si les races n’existaient pas”
Agnès Botz 24 juin 2020

Alors que la vague d’indignation provoquée par la mort de George Floyd aux États-Unis crée un débat sans précédent sur la persistance du racisme,…

Kwame Anthony Appiah : “L’antiracisme, ce n’est pas faire comme si les races n’existaient pas”

Article
6 min
Dépasser le manichéisme
Alexandre Lacroix 24 avril 2013

« Je ne connais pas bien l’Amérique mais, d’après ses films, je crois que, pour mieux se préserver, pour se garder intacte, elle a inventé une sorte de gangster qui incarne à peu près totalement le Mal. Ces gangsters sont naturellement…


Article
11 min
Pour une politique du silence
Octave Larmagnac-Matheron 30 septembre 2022

Tout fait trop de bruit, et le silence semble devenu un luxe réservé à une élite, y compris dans les zones non urbaines. Le silence est-il une…

Pour une politique du silence

À Lire aussi
Pourquoi visitons-nous les musées en silence ?
Pourquoi visitons-nous les musées en silence ?
Par Nicolas Tenaillon
juillet 2021
Patrick Boucheron : “Notre histoire est plus grande que celle qu’exaltent les apôtres des grandeurs de la France”
Patrick Boucheron : “Notre histoire est plus grande que celle qu’exaltent les apôtres des grandeurs de la France”
Par Catherine Portevin
juin 2020
Hourya Bentouhami :  “On ôte aux Noirs le droit de circuler, de dormir, de respirer, d’exister au fond. Et on les tue pour cela”
Hourya Bentouhami : “On ôte aux Noirs le droit de circuler, de dormir, de respirer, d’exister au fond. Et on les tue pour cela”
Par Michel Eltchaninoff
juin 2020
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. “Milwaukee Blues” : les voix du silence
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse