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Michel Houellebecq en 2022. © Fred Dugit/Le Parisien/Maxppp

Littérature

Michel Houellebecq ou le paradoxe du jouisseur dépressif

Samuel Lacroix publié le 18 février 2023 6 min

Michel Houellebecq tournant dans un porno, les images ont fait le tour de la Toile. Si elles ont autant amusé que rebuté, elles posent aussi, eu égard à l’image véhiculée par le romancier, une question : peut-on être à la fois dépressif et hédoniste, et donc rechercher le plaisir tout en étant profondément malheureux ?


Michel Houellebecq, on le sait, n’est pas franchement un gai luron. Grand lecteur de Lovecraft et de Schopenhauer, le romancier fait largement siennes leurs vues désabusées sur l’existence. « N’ayez pas peur du bonheur. Il n’existe pas » (Rester vivant, 1991) est le genre de sentences ciorano-schopenhaueriennes que l’on peut trouver dans ses écrits. Les personnages de ses romans, broyés par un néolibéralisme qui étend le régime de la compétition économique à toutes les sphères de la vie, finissent la plupart du temps vaincus, seuls et tristes : pour eux, généralement, « il ne reste plus que l’amertume et le dégoût, la maladie et l’attente de la mort » (Extension du domaine de la lutte, 1994). Or, comme il le confie volontiers lui-même, Houellebecq ressemble beaucoup à ses personnages.

Que Michel Houellebecq s’intéresse à la pornographie au point de jouer dans un court-métrage du genre à l’initiative d’un collectif de cinéastes hollandais, cela n’a, dans cette perspective, rien de bien étonnant. Son œuvre fait une très grande place à la sexualité, aussi bien « conventionnelle », si l’on peut dire, que franchement débridée et glauque : la pornographie y est bien présente, tout comme la prostitution, le tourisme sexuel, les partouzes ou la zoophilie. L’auteur lui-même passe pour un jouisseur, très attaché à sa liberté sexuelle. Dans une enquête de Libération consacrée à l’écrivain, on apprend que ce dernier aurait confié à ses amis Frédéric Beigbeder et Marin de Viry qu’il avait épousé sa troisième femme notamment en vertu de ce critère : « J’ai pris celle qui acceptait mes conditions. »

 

Distinguer bonheur et plaisir

La cocasserie, ici, vient donc plutôt de ce que nous avons tendance à considérer que la personne qui prend du plaisir et le cherche passe pour quelqu’un, sinon d’heureux, du moins de non malheureux. Nous associons volontiers le malheur à quelqu’un d’apathique, manquant d’élan vital, qui n’a pas réellement ni la possibilité ni l’ambition d’être dans la quête des contentements. On l’imagine plutôt cloué au lit qu’à la recherche d’aventures charnelles.

Même si le plaisir est à distinguer du bonheur, que le second est entendu comme un état durable alors que le premier est marqué du sceau de la fugacité, nous avons cette idée que les deux s’entretiennent : si l’on est heureux, n’est-ce pas aussi parce que nous avons la possibilité matérielle de pouvoir satisfaire de manière répétée des plaisirs variés qui entretiennent un état global de bien-être ?

“S’il est vrai que la dépression peut se caractériser par une perte de plaisir, ou anhédonie, ce n’est pas là une caractéristique nécessaire ni suffisante”

 

Il paraît alors insolite que quelqu’un de parfaitement malheureux puisse régulièrement prendre du plaisir et le chercher de manière plus ou moins frénétique. C’est que nous avons une vue incomplète du malheur et, singulièrement ici, de la dépression. S’il est vrai que la dépression peut se caractériser par la perte d’intérêt pour ce qui faisait le sel de la vie, et donc par une perte de plaisir, ou anhédonie, ce n’est pas là une caractéristique nécessaire ni suffisante.

 

« Hédonie dépressive »

Le philosophe britannique Mark Fisher, lui-même grand dépressif, a bien expliqué cet état de fait dans Le Réalisme capitaliste (2009) : « Nombre des élèves adolescents que j’ai rencontrés semblaient être dans un état que je qualifierais d’hédonie dépressive. La dépression se caractérise habituellement comme un état d’anhédonie. Or, l’affection à laquelle je fais ici référence n’est pas une incapacité à éprouver du plaisir, mais bien une incapacité à faire tout autre chose que rechercher le plaisir. »

“L’hédonie dépressive n’est pas une incapacité à éprouver du plaisir, mais bien une incapacité à faire tout autre chose que rechercher le plaisir”
Mark Fisher, Le Réalisme capitaliste (2009)

 

Être pris dans un cycle de recherche perpétuelle de l’agrément – comme nous y pousse d’ailleurs le capitalisme, remarque Fisher – ne suffit pas à donner sens à une vie et passe plutôt pour une fuite en avant dans une sorte d’infernal divertissement. Pour être heureux, il faut pouvoir cesser ce cycle, faire autre chose qu’être dans la quête du contentement, arrêter un moment d’être actif, se poser, prendre du recul. Dans un contexte d’accessibilité maximale à certains plaisirs rapides et efficaces – le shoot procuré par la drogue de synthèse ou le sucre de la nourriture de fast-food, l’excitation suscitée par le porno… –, ce cycle caractérise d’autant plus notre époque et il est difficile de s’empêcher d’y plonger.

Mais, à la sortie, on pourra avoir le sentiment que « quelque chose manque », que cet accès facile au plaisir ne garantit en rien une jouissance pleine et authentique – et a fortiori un bonheur. D’où le vertige d’un ennui et d’une lassitude constitutives de ce type particulier de dépression contemporaine, que Mark Fisher qualifie de « tristesse de l’hédonisme » ou d’« hédonie dépressive », « aussi courante que niée ».

 

Le plaisir, une injonction contemporaine

Cette hédonie dépressive, qui caractériserait le monde contemporain et les personnages de Houellebecq, est favorisée par le néolibéralisme et son injonction générale à être toujours actif. Dans Spectres de ma vie (2014), Fisher développe cette idée que nous sommes mis en demeure de répéter les expériences de plaisir, que nous intégrons cela comme une obligation inconsciente, analogue à celle qui a cours dans le monde du travail.

“Work hard, play hard / We work hard, play hard / Keep partyin’ like it’s your job” (“On travaille dur, on s’amuse dur / Continue de faire la fête comme si c’était ton boulot”)
David Guetta, Play Hard (2011)

 

Très attaché à l’analyse des œuvres de la pop culture, le philosophe analyse un certain nombre de paroles de chansons très édifiantes à cet égard, à l’instar de celles du morceau Play Hard (2011) de David Guetta : « Work hard, play hard / We work hard, play hard / Keep partyin’ like it’s your job » (« On travaille dur, on s’amuse dur / Continue de faire la fête comme si c’était ton boulot »).

Telle est la semaine de l’individu post-moderne : travailler jusqu’au week-end, moment où il faudra décompresser dans de spectaculaires fêtes où l’on se shoote aux sensations fortes, en faisant le plein de dopamine et de sérotonine. En se lançant dans ce cycle de plaisirs induits, on feint effectivement le bonheur, mais la réalité est que cela n’améliore rien à notre état global – le malheur étant lui aussi un état diffus et durable.

 

Jouir au plus fort du malheur ?

Mais, au fond, le capitalisme et ses injonctions contemporaines, n’exploitent-ils pas une tendance qui lui préexiste ? Oublier sa condition dans le divertissement est aujourd’hui certes une injonction sociale, mais elle a aussi un atour beaucoup plus existentiel et individuel, comme l’avait déjà noté Pascal dans ses Pensées. Le malheur et la dépression, en réalité, peuvent aussi bien nous faire plonger dans l’apathie que dans la frénésie hédoniste. Et l’on peut, à partir de là, accepter l’idée que, parfois, c’est précisément parce qu’on est malheureux que l’on cherche le plaisir.

La personne heureuse, de son côté, est pleine d’elle-même, se suffit à elle-même ; elle est par définition comblée, elle a ce qui lui faut, au-delà du seul principe de plaisir. Le chagrin n’empêche pas la quête du plaisir et peut même tout à fait la motiver, comme une manière pour l’individu en perdition de se raccrocher à quelque, se redonner une assise, des raisons de vivre ou d’oublier, s’anesthésier, se décentrer. C’est ce qui peut nous faire manger des sucreries réconfortantes quand nous sommes au plus mal, mais c’est aussi ce qui peut nous pousser à de drôles de frénésies, dans les moments les plus difficiles.

“On ne peut pas exister sans plaisir même une seconde, et que c’est bien difficile d’avoir vraiment du chagrin. C’est comme ça l’existence”
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

 

Il n’est pas rare que lors d’un deuil, par exemple, nous éprouvions un besoin irrépressif d’activité sexuelle, sans que celle-ci ne nous satisfasse réellement. Le plaisir devient purement mécanique, comme une fuite en avant vers l’abîme. C’est ainsi que Céline décrit dans Voyage au bout de la nuit (1932), cette dame désespérée de la maladie de sa fille : « Trois semaines que ça avait duré son agonie et même que sa mère dans le lit à côté ne pouvait plus dormir à cause du chagrin, alors elle s’est masturbée sa mère tout le temps des trois semaines d’agonie, et puis même qu’on ne pouvait plus l’arrêter après que tout a été fini. »

Céline conclut : « Ça prouve qu’on ne peut pas exister sans plaisir même une seconde, et que c’est bien difficile d’avoir vraiment du chagrin. C’est comme ça l’existence. » De Céline à Houellebecq, à qui certains le comparent parfois, on voit que l’hédonisme dépressif n’est pas nécessairement le nom d’un paradoxe, mais l’expression de tendances contraires qui peuvent parfaitement cohabiter au sein d’un même sujet.

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