Marcel Gauchet : “Culturellement, le monde arabe s’occidentalise, lui aussi”
Alors que le discours médiatique alimente une conception d’un monde arabe très conservateur, le sondage d’opinion Arab Barometer 2019 montre que la part des personnes se déclarant « non religieuses » a fortement progressé dans les sociétés arabo-musulmanes en seulement une année. Entretien avec le philosophe et historien Marcel Gauchet, auteur notamment de La Religion dans la démocratie. Parcours de la laïcité (Gallimard, 1998).
Cette apparente laïcisation du monde arabe vous surprend-elle ?
Marcel Gauchet : Pas du tout. Nous sommes aveuglés par un processus spectaculaire de ré-islamisation du monde arabe qui masque en réalité un double phénomène lié à la mondialisation. Celle-ci-joint une occidentalisation culturelle à une désoccidentalisation politique.
L’occidentalisation culturelle désigne la propagation des modes de pensée placés sous le signe de la rationalité scientifique mais aussi du calcul économique, sans oublier la dimension juridique. Les droits liés au statut de la personne humaine deviennent des objets de revendications démocratiques et s’associent à une forme d’individualisme que l’on retrouve dans l’exigence du droit à la dignité individuelle. La foi est, quant à elle, de plus en plus considérée comme partie intégrante de la sphère personnelle, et non plus sociale et traditionnelle. Tout cela découle de l’occidentalisation culturelle qui se déploie à l’échelle planétaire de façon inégale mais certaine, et que reflètent les chiffres de l’enquête que vous évoquez.
Mais ce processus de mutation culturelle ne va pas sans sa contrepartie. Il engendre une réaction identitaire, religieuse et politique. C’est ce rejet de la pénétration occidentale qui se traduit dans la ré-islamisation. Encore celle-ci est-elle pénétrée par ce qu’elle combat. L’historien Henry Laurens en propose une clé de lecture simple et forte : l’alphabétisation des sociétés arabes, très puissante après 1945. Il ne faut pas oublier que ces pays ont longtemps été marqués par une culture et des traditions orales, même s’il y a des élites intellectuelles très anciennes. On sait les changements majeurs que l’accès à l’écriture provoque dans le mode de pensée et en particulier dans la relation aux textes religieux. Il ouvre la possibilité d’un engagement plus personnel dans la croyance, en même temps que la possibilité d’un regard critique à l’égard de l’autorité reçue. Au niveau collectif, cela peut évoluer aussi bien vers l’émergence de fondamentalismes que vers le développement d’une distance critique vis-à-vis de la tradition religieuse.
L’assassinat de Samuel Paty, professeur qui avait montré des caricatures de Mahomet à sa classe dans le cadre d’un cours sur la liberté d…
La Tunisie a initié les printemps arabes… et elle est la première à avoir porté à sa tête un parti islamique après des élections libres. Entre…
En Égypte, un an après l'élection de Mohamed Morsi, la population se révolte contre l'autoritarisme et le conservatisme du gouvernement, redoutant…
L’Institut du monde arabe, à Paris, lance un nouveau rendez-vous dont Philosophie magazine est partenaire : les « Jeudis de la…
Tous les premiers jeudis du mois, l’Institut du monde arabe à Paris organise des rencontres autour de la philosophie arabe. Pour sa première…
Face à une forme de terrorisme qui vise désormais la société dans son ensemble, c’est le sens même du contrat démocratique qui est en jeu,…
Dans un dialogue inédit et exclusif, Alain Badiou, figure de proue de la gauche radicale et principal avocat de l’idée communiste, et Marcel…
Selon Marcel Gauchet, historien et philosophe, la « sortie du religieux » a permis l’avènement de la démocratie. Les fondamentalismes sont une réaction des sociétés religieuses au choc de la modernité. Mais l’homme moderne ne peut faire…