Les structures élémentaires de la festivité
Tchin, champagne, que la fête commence ! Vous imaginez que c’est une occupation frivole ? Non, c’est le moment ou jamais de vous libérer de vos contraintes et d’explorer de nouveaux horizons philosophiques. Sans oublier de rire !
« L’exubérance est beauté », écrit le poète britannique William Blake dans le Mariage du ciel et de l’enfer (1790). Une formule digne d’illuminer nos fêtes. Que l’on songe, en effet, aux Saturnales des Romains ou au carnaval de Rio, aux pique-niques sous les cerisiers en fleurs du Japon ou à la Pessah du judaïsme, à la Saint-Patrick des Irlandais ou aux fieras des villages espagnols, au corrobori des Aborigènes d’Australie ou au bain des reliques royales des Sakalava de Madagascar, aux réceptions mondaines du faubourg Saint-Germain chères à Marcel Proust ou aux soirées échangistes décrites par Michel Houellebecq, aux bals musette ou aux techno partys, la fête se présente à nous comme un universel : elle se rencontre en tous temps, en tous lieux, traverse cultures et milieux, échauffe les dominants comme les dominés. Elle est un fait anthropologique incontournable. Chaque groupe humain a ses célébrations, ses moments d’exubérance et de folle dépense. Avec cette originalité qu’une fête réussie se doit d’être une sorte de mariage du paradis et de l’enfer, de prodiguer des visions lumineuses du bonheur et des aperçus de ténèbres, d’offrir des cimes mais aussi des vertiges.
Devant tant d’universalité, il est tentant d’essayer de dégager les structures élémentaires de la festivité. Pour qu’il y ait fête, des figures incontournables sont-elles requises ? Y a-t-il des ingrédients communs à toutes ces réjouissances collectives, au-delà de leurs différences apparentes ? En y regardant de plus près, la fête semble se caractériser par l’articulation de cinq éléments structuraux.
Élément n° 1 / la temporalité-trou
Certaines fêtes sont improvisées, et ce sont souvent les plus gaies, d’autres ont leur date précise – comme Noël, le jour de l’an, la fête nationale ou votre anniversaire. Mais dans les deux cas, les fêtes creusent un trou dans le calendrier. Le temps conventionnel que mesurent nos montres est à la fois linéaire, continu et homogène. Faire la fête, c’est découvrir dans une case de l’agenda qu’on croyait banale l’accès à un souterrain, et y descendre. Une expérience que condense le magnifique titre d’un roman du Britannique Allan Sillitoe, Samedi soir, dimanche matin (1958). Dans cette virgule tient une expédition !
Ainsi, le temps de la fête est brisé, discontinu, hétérogène par rapport au reste de l’existence. Pour faire la fête, il faut cesser de se soucier de l’avenir, ne surtout pas penser au lendemain. Mais aussi faire table rase du passé – impossible d’apporter ses regrets ou ses désirs de vengeance. Le ressentiment tacite, le passif accumulé alourdissent parfois les réveillons de famille – et les gâchent. Car la fête nous demande de nous donner entièrement à elle, de nous offrir à son présent qui ne s’écoule pas, qui est stable. Si vous passez, par mégarde, la tête hors du temps-trou de la fête, si vous reprenez conscience du temps social, vous êtes fichu, vous voilà jeté hors de la nef des fous. Quand vous levez les yeux vers la pendule du bar, et que vous vous dites « zut, déjà trois heures et quart du matin », la fête est finie pour vous.
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