Les IA à l’assaut de Hollywood
Grève en perspective début mai à Hollywood : la Writers Guild of America West – le syndicat des scénaristes sur la côte Ouest des États-Unis – réclame une régulation de l’usage des agents conversationnels. Pas question de bannir les chatbots, dit le syndicat, à condition que ces systèmes demeurent des serviteurs, pas des concurrents…
« La réponse des majors de Hollywood sera donnée le 1er mai. En attendant, imaginez ChatGPT sous les traits d’un acteur de Westworld et vous obtenez le début d’une série sur l’avenir brumeux de la création à l’heure des intelligences artificielles. Avec une question : la créativité est-elle codable ?
Cet avenir, l’écrivain de science-fiction et de fantasy Fritz Leiber l’a imaginé dans Génies en boîte, nouvelle parue en 1959 et transformée en roman en 1962. Il y décrit un futur dans lequel les robots font l’amour et les écrivains n’écrivent plus, laissant cette tâche à des algorithmes qui produisent essais et romans au kilomètre. Un jour, les auteurs humains, simples vitrines des vrais auteurs algorithmiques, se rebellent et détruisent les machines écrivantes. Avant de constater qu’ils ont perdu toute inspiration. Disons-le sans ambages, la nouvelle ne vaut pas tripette, le roman encore moins ; reste l’idée, inquiète, qui surgit à l’époque de ce qui a été baptisé le premier âge d’or de l’IA, trois ans après l’apparition du terme (forgé par Marvin Minsky en 1956) et six ans avant que le robot conversationnel Eliza joue les psys au Massachusetts Institute of Technology. Bon, c’était basique (“Je déteste ma mère. — Pourquoi détestez-vous votre mère ? — À cause des épinards. — Pourquoi n’aimez-vous pas les épinards ? — À cause de ma mère”, etc.), mais étonnamment, pas mal de gens y trouvaient leur compte.
Un demi-siècle plus tard, la tchatche des chatbots est incomparable. Avant de découvrir ChatGPT, on aurait pu remarquer, avec la superbe d’un Bernanos, que “la civilisation des Machines n’a nullement besoin de notre langue, notre langue est précisément la fleur et le fruit d’une civilisation absolument différente de la civilisation des Machines. Il est inutile de déranger Rabelais, Montaigne et Pascal, pour exprimer une conception sommaire de la vie, dont le caractère sommaire fait précisément toute l’efficience” (La France contre les robots, 1947). Mais aujourd’hui ? Rabelais, Montaigne, et Pascal font partie des datasets qui nourrissent le deep learning aux côtés de Dieudonné ou Kim Kardashian. D’où le pragmatisme de la guilde américaine : le copyright doit rester humain. Un algorithme ne doit pas être rangé parmi les auteurs mais parmi les outils, ni plus ni moins qu’une calculette ou un stylo. Leur demande, en somme, ne porte pas sur des fantasmes mais sur une réalité qui est désormais celle des rédacteurs, photographes, dessinateurs ou musiciens : pour produire du texte, du son ou de l’image au kilomètre, de nombreuses entreprises seraient ravies de passer à l’as la question des droits d’auteur. Et ce n’est qu’un début. Si j’en crois Yann Le Cun, les modèles type ChatGPT ne seront plus utilisés d’ici cinq ans. Sa priorité est de “mettre au point des IA qui raisonnent et planifient en fonction d’objectifs donnés”.
Seront-elles créatives ? On peut grimper au sommet d’un arbre, cela ne rapproche pas vraiment de la Lune, remarquait Hubert Dreyfus, l’un des premiers philosophes à réfléchir sur l’intelligence artificielle. Il voyait dans notre incapacité à définir la conscience – ce qui la caractérise (la perception, l’intuition, la créativité…) et ce qui la fait émerger – une barrière infranchissable pour créer une IA. Dans le roman de Leiber, l’un des héros mécaniques offre une explication : “Nous connaissons, nous les robots, la juste valeur de la conscience, peut-être parce qu’elle nous est venue tout d’un coup, par miracle.” Peut-on coder un miracle ? Il faudrait un miracle. »
Vous pouvez également retrouver nos billets dans votre boîte aux lettres électronique en vous abonnant gratuitement à notre infolettre quotidienne.
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
Dans Faire la morale aux robots. Une introduction à l’éthique des algorithmes (Flammarion, 2021), le chercheur en éthique de l’intelligence…
Quel est le point commun entre un écrivain psychiatre qui soigne les troubles du cerveau à l’hôpital Sainte-Anne, un philosophe qui se confronte à…
En Afrique du Sud, une intelligence artificielle vient d’être reconnue comme inventrice d’un récipient alimentaire capable de conserver…
Les progrès de l’intelligence artificielle font craindre aliénation et perte d’autonomie. Il est pourtant une profession dans laquelle d…
Le 7 juin, le test de Turing, étape clé dans les progrès de l’intelligence artificielle, aurait été passé avec succès… par un programme informatique. Reste à comprendre ce qu’on entend ici par intelligence.
Le système informatisé de langage ChatGPT développé par OpenAI n’est pas tout à fait l’avènement d’un monde nouveau, n’en déplaise à ses…
Des zombies de Walking Dead à l’intelligence artificielle devenue folle de 2001, l’Odyssée de l’espace en passant par les « Hubot » de…
Quelles questions éthiques posent les robots de conversations ? Cette interrogation est au cœur du dernier rapport du Comité consultatif…