Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© iStockphoto

Les deux franglais et le continent

Ariane Nicolas publié le 03 novembre 2023 4 min

« Tandis que je vous incite à scroller depuis mon flex office pour que vous puissiez faire un break, j’aimerais vous parler d’un gap qui s’instaure entre les personnes chill qui parlent un franglais cringe, et les autres qui balancent des punchlines pour bitcher sur les premières. Vous n’avez rien compris ? Pas d’inquiétude ! C’est l’objet de cette lettre.

La Cité internationale de la Langue française a ouvert ses portes à Villers-Cotterêts (Aisne). Le parcours pédagogique, que mon collègue Jean-Marie Durand vous présentait en début de semaine, salue notamment la langue de Molière comme “langue monde”, sans cesse balayée par des vents venus d’ailleurs. Le discours d’Emmanuel Macron s’en est fait l’écho, même si sa saillie peu inspirée contre le point médian a occulté les 47 000 autres signes de son allocution. Je retiendrai pour ma part son incursion sur un terrain qui me tarabuste : les anglicismes. Le président a indiqué : “C’est une bonne chose de dire que le français doit se protéger des faux anglicismes […] Mais quand vous parlez à des gens qui ne parlent qu’anglais, refuser de parler leur langue, c’est une absurdité.” Justifiant le choix du slogan “Choose France”, le chef de l’État semble défendre l’anglais comme outil commercial, mais pas comme simple élément de conversation.

Les anglicismes sont la bête noire des défenseurs de la langue française. Je me souviens, quand j’étais enfant, de la loi Toubon de 1994 censée protéger notre patrimoine des assauts linguistiques de la perfide Albion. Initiative moquée à l’époque : “On va dire ‘chien chaud’ à la place de ‘hotdog’ ?” Ouaf ouaf. Effectivement, il en va de la langue comme de la cuisine – vous pouvez avoir sur papier la plus belle recette du monde, l’usage tranche. Toutefois, un phénomène nouveau m’inquiète : la présence d’anglicismes issus non pas de la langue entrepreneuriale (le fameux “bottom up” employé par Macron lui-même) mais des productions culturelles et des réseaux sociaux. Autrement dit : un franglais jugé relativement légitime, esthétisant ou… cool, et non le franglais ridicule des start up, plus facilement dézinguable en soirée.

Si je l’évoque, c’est que j’en suis la première victime – et pratiquante. Après m’être fait ghoster (“fantômer”) par mon crush (“coup de foudre”), je vais faire ma makeup routine (“maquillage quotidien”) pour avoir un teint aussi glowy (“resplendissant”) que possible. J’ai plus radicalement découvert qu’une partie de la presse culturelle ne parlait plus du “jeu” des acteurs mais de leur acting. Il m’arrive même d’entendre – et donc de reproduire par mimétisme – des formules intégralement importées des États-Unis, comme guess what (“tu ne devineras jamais”), parfois en version traduite pour ne pas faire trop cuistre. C’est ainsi que d’aucuns disent dorénavant “l’éléphant dans la pièce” (elephant in the room) à propos d’un tabou criant qu’on fait semblant de ne pas voir.

Comment expliquer une telle porosité ? Je m’interroge et m’incrimine moi-même, dans la mesure où (bien) écrire et parler français est sans doute mon activité favorite entre toutes. C’est comme si ma garde baissait d’un coup. Mais elle ne baisse pas tout le temps. J’e déduis qu’il y a au moins deux manières de construire et d’incorporer le franglais, une considérée inconsciemment comme tolérable et l’autre non. Sans doute retrouve-t-on dans les deux cas le besoin de souligner son appartenance à un groupe, le collectif au travail d’un côté, le collectif connecté, référencé, de l’autre – et que je me reconnais davantage dans le second. Mais la démarche me paraît redoublée par les relations mêmes entre de ces deux franglais, leur intime rapport de force.

Qu’incarnent le franglais managérial et le franglais des réseaux sociaux ? Deux mondes économiques distincts, le premier dominant matériellement l’autre. N’ayant pas trouvé d’ouvrage sociologique sur le sujet – ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas, je reste tout ouïe ! – je vous soumets une hypothèse. Au sein de la classe éduquée capable de maîtriser l’anglais comme une seconde langue, une lutte pour le pouvoir symbolique est engagée, entre les individus qui choisissent des parcours rémunérateurs et les autres, davantage intéressés par l’aspect conversationnel de leur métier. En faisant référence à la pop culture et aux codes d’Internet, une partie de la population tente ainsi de reprendre le pouvoir par la langue, en montrant qu’elle place la culture et la sociabilité au-dessus du business... Quitte à laisser de côté celles et ceux qui n’entendent simplement rien à l’anglais.

Théorie fumeuse ? Peut-être. Je laisse aux héritiers de Bourdieu le soin de commenter. En attendant, voici un conseil lecture pour ce… week-end : la délicieuse page de l’Académie française consacrée aux mots français à utiliser en remplacement des anglicismes. »

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.

Expresso : les parcours interactifs
Comment commenter un texte philosophique ?
Une fois qu’on a compris la thèse d’un texte de philo, il n’y a plus rien à faire ? Faux ! Apprenez comment commenter un texte de philosophie avec une méthode imparable, étape après étape. 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
3 min
Polite Type : police anti-trolls ou novlangue totalitaire ?
Theresa Schouwink 29 septembre 2020

À la fois caractère typographique et outil de correction « moralement correct », Polite Type veut révolutionner les usages de l’écrit en modifiant automatiquement les messages de haine qui pullulent sur Internet. Une…


Article
2 min
Le “mécontemporain” Alain Finkielkraut à l'Académie française
10 avril 2014

Le philosophe Alain Finkielkraut a été élu à l'Académie française ce jeudi 10 avril 2014.


Article
6 min
"Chronologie Bescherelle" : le français ou le génie d’une langue
Jean-Marie Durand 14 juin 2022

Le nouveau volume des Chronologies Bescherelle propose une somme pédagogique et documentée visant à restituer la langue française dans son écrin…

"Chronologie Bescherelle" : le français ou le génie d’une langue

Article
6 min
Jean-Bernard Daeppen : "Entre les réseaux sociaux et le tabac, la différence de dangerosité est considérable”
Jean-Marie Pottier 21 octobre 2021

De plus en plus de voix s’élèvent contre les réseaux sociaux et leur caractère addictif. Début octobre, Frances Haugen, une ancienne employée de…

Jean-Bernard Daeppen : "Entre les réseaux sociaux et le tabac, la différence de dangerosité est considérable”

Article
4 min
Agnès Gayraud : “Christophe libère la langue française pour en retrouver la part charnelle” 
Agnès Gayraud 07 juillet 2020

Aujourd’hui, la philosophe et musicienne Agnès Gayraud, plus connue du grand public sous le nom de La Féline, nous commente l’un de ses morceaux fétiches : “J’t’aime à l’envers”, du chanteur Christophe. Un morceau qui, à l’image de son…


Article
6 min
Patrick Eveno : “On surestime beaucoup la capacité des médias à modeler les esprits par l’information”
Charles Perragin 26 avril 2022

Elon Musk, libertarien qui défend le droit de tout dire sur les réseaux sociaux, est sur le point de racheter le réseau social Twitter. Bonne…

Patrick Eveno : “On surestime beaucoup la capacité des médias à modeler les esprits par l’information”

Article
5 min
Frédéric Worms : “L’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile”
Michel Eltchaninoff 21 octobre 2020

Autant que le terrorisme islamiste, c’est la caisse de résonance que fournissent Internet et les réseaux sociaux à tous les discours extrémistes…

Frédéric Worms : “L’image seule plus les réseaux sociaux, cela peut donner lieu à la guerre civile”

Article
6 min
Chris Bail : "Les réseaux sociaux polarisent l’attention sur les fractions plus extrêmes de la société et invisibilisent la majorité modérée"
Jana Glaese 21 mai 2021

Sur Twitter ou sur Facebook, le débat en ligne a rarement été aussi polarisé. La faute aux réseaux sociaux qui encouragent l'entre-soi ? En…

Chris Bail : "Les réseaux sociaux polarisent l’attention sur les fractions plus extrêmes de la société et invisibilisent la majorité modérée"

À Lire aussi
Denis Maillard: “ Il faut protéger l’entreprise de la guerre identitaire qui couve dans la société”
Par Martin Legros
novembre 2017
Vices et vertus de la dénonciation publique
Vices et vertus de la dénonciation publique
Par Ariane Nicolas
mars 2021
Jean-Luc Marion : "C'eût été une chance que le Covid suscite une véritable crise"
Jean-Luc Marion : "C'eût été une chance que le Covid suscite une véritable crise"
Par Octave Larmagnac-Matheron
mai 2021
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Les deux franglais et le continent
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse