“L’Économie à venir“, de Gaël Giraud et Felwine Sarr
L’économie doit retrouver son ancrage dans la morale, les sciences humaines et sociales, et même les religions. Sinon, elle se condamne elle-même à répéter un « ordre mathématisé », jamais pensé dans ses finalités. C’est la conviction que partagent les deux économistes engagés Gaël Giraud et Felwine Sarr dans un dialogue érudit et ouvert, qui cherche à sortir l’économie de son abstraction et à lui insuffler de nouvelles valeurs.
Dans L’Économie à venir (Les Liens qui libèrent, 2021), l’économiste catholique et le philosophe musulman plaident ainsi pour un monde commun qui fasse place, non au seul intérêt rationnel comme définitoire de l’échange, mais à la « surabondance de la générosité ». Vœu pieux ?
- C’est un dialogue rare, où l’on entend deux chercheurs se questionner ensemble et apprendre l’un de l’autre. On en a perdu l’habitude, tant le débat d’aujourd’hui est obsédé par le « penser pour/contre », et disqualifie par principe le « penser avec », toujours suspect d’entre-soi. Or ce qui réunit les deux économistes engagés à gauche Gaël Giraud et Felwine Sarr et structure leur recherche du commun est bien l’entre-soi. Ou plus exactement l’entre-nous, c’est-à-dire la conscience que « nous partageons ce que nous n’avons pas » : c’est ce qui nous rend humains, disent-ils, et devrait refonder l’économie.
- Gaël Giraud est français, spécialiste des mathématiques appliquées à l’économie et professeur à l’École polytechnique. Felwine Sarr est sénégalais et enseigne la philosophie africaine à l’université Duke, aux États-Unis ; les deux partagent la connaissance de l’économie du développement et de l’Afrique, et un fort ancrage spirituel et théologique (Giraud est jésuite, Sarr musulman soufi), auquel une partie de la discussion est consacrée et qui sous-tend leurs visions historiques et éthiques, en particulier dans leur défense d’une humanité fondée sur l’accueil et la relation plutôt que sur l’égoïsme rationnel de l’Homo economicus dans la guerre de tous contre tous.
- La conversation commence donc par l’hospitalité. Son cœur est constitué par la critique du capitalisme, et des impensés philosophiques sur lesquels s’appuie le modèle néoclassique, qui ne jure que par la rationalité mathématique et représente l’orthodoxie de la théorie économique. Giraud développe son analyse du capital comme « transsubstantiation à l’envers » : quand le rite catholique transmute la matérialité en esprit, le capitalisme « transforme une forêt, une machine, une œuvre d’art, un être humain… en capital », dont je peux en acteur rationnel anticiper les revenus futurs qui déterminent la valeur de mon capital présent. Dans cette réification, rien n’échappe à la propriété, et l’intérêt ne peut être compris que comme le contraire de la gratuité, de la « surabondance de la générosité ».
- En plaidant pour une économie « indisciplinée », les deux auteurs plaident aussi pour sa transdisciplinarité. Au lieu de se réduire, comme le dit Sarr, « à un ordre mathématisé, formalisé, devenant par conséquent un ordre insensé », l’économie devrait être « réenchâssée » dans les sciences humaines, les philosophies morales… et même la physique – ce qui donne lieu à un développement pointu sur la « thermodynamique hors équilibre ». De la morale à l’anthropologie, de la thermodynamique à la théologie, l’économie devient une discipline passionnante.
L’Économie à venir, de Gaël Giraud et Felwine Sarr, vient de paraître aux Éditions Les Liens qui libèrent. 192 p., 16€, disponible ici.
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