Le tour du monde (philosophique) en huit étapes de Vincent Citot

Que visait de nouveau, dans son intention de départ, le projet d’une Histoire mondiale de la philosophie, eu égard à l’existence de dizaines, voire centaines, d’ouvrages d’histoire de la philosophie ?

Vincent Citot : Permettez-moi de caricaturer ma position pour mieux la faire entendre : l’histoire de la philosophie est, en réalité, une denrée rare – à l’inverse des doxographies, qui sont pléthoriques. Étudier les philosophies du passé, reformuler la doctrine des grands auteurs, la mettre en perspective, la penser, la critiquer, la magnifier, dire qui a influencé qui, et critiqué quoi, ce n’est pas (ou peu) faire œuvre d’historien. C’est être doxographe, exégète, interprète, commentateur, vulgarisateur et/ou philosophe. Points de vue légitimes et souvent passionnants, mais qui ont un rapport incertain avec l’histoire proprement dite. Cette dernière, dans la mesure où elle est une science humaine, et non pas un récit littéraire, un travail exégétique ou une réflexion philosophique, doit avoir en vue l’objectivité (autant que possible) et mettre des hypothèses à l’épreuve. En outre, nul n’est historien s’il n’a le sens de la durée, des époques et donc des transitions entre époques. L’originalité de mon Histoire mondiale – outre qu’elle se voudrait histoire et non philosophie historisante ou histoire philosophique – tient, il me semble, en trois points. Elle est mondiale (couvre toutes les cultures pour lesquelles nous disposons de sources suffisantes pour l’écriture d’une histoire), intellectuelle (intègre l’histoire de la pensée religieuse, scientifique, morale et politique) et comparative (cherche à dégager des récurrences et des lois).

“L’originalité de mon Histoire mondiale est qu’elle est mondiale, intellectuelle et comparative” Vincent Citot

Vous écrivez dans votre introduction qu’une histoire de la philosophie “ne peut être savante qu’en renonçant à être philosophante”. Pourquoi ? Philosopher sur l’histoire de la philosophie ne pourrait-il pas être en soi un geste savant ?

Il y a des époques où la distinction philosophie-science est dépourvue de sens ou n’est pas significative. Mais depuis plus de deux siècles, ces disciplines sont séparées – selon moi, à bon droit. Ainsi, philosopher à propos du passé (s’en servir pour dire des choses pertinentes), ou connaître le passé (aussi objectivement que possible), il faut choisir. Philosopher sur l’histoire de la philosophie est d’autant plus intéressant que cette histoire n’est pas elle-même philosophique. Sans quoi la pensée ne fait que tourner en elle-même.

Y avait-il au cœur de votre projet une idée commune à celle de Patrick Boucheron avec son Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017), de décentrer le regard, d’ouvrir les horizons d’un savoir généralement concentré sur son seul versant occidental, voire national ? Ouverture, élargissement, décentrement. Peut-on ainsi faire une lecture “politique”, au sens culturaliste du terme, de votre Histoire ?