“Le temps de quelques jours”: la face cachée de la foi

Que se passe-t-il dans la vie d’une moniale retirée ? Dans son esprit ? Quel lien cultive-t-elle avec le monde et avec le temps ? Avec ces questions en tête, le réalisateur Nicolas Gayraud s’est glissé, caméra au poing, pour la première fois et exceptionnellement, entre les murs de l’abbaye de Bonneval, au creux de l’Aveyron. Jamais les sœurs de cet ordre cistércien de la Stricte Observance n’avaient laissé quiconque pénétrer leur quotidien.

Ce Temps de quelques jours, qui a donné son titre au film, Nicolas Gayraud pose aux trappistines des questions simples, avec une franchise sans apprêt qui allie l’honnêteté et la bienveillance. Son propos n’est pas religieux, au mieux philosophique ou existentiel. Il repose sur une simple interrogation : que vaut cet engagement en « bordure du monde ». Moins archaïques que nous n’aurions imaginé, ces sœurs suivent le credo de saint Benoît qui préconise la prière, la réflexion et le travail dans une journée. Le travail ? À l’abbaye, elle entretiennent une petite central hydroélectrique et fabriquent… du chocolat.

La réflexion ? Entre deux tablettes, sans jamais vraiment parler de Dieu, elles prennent le temps de s’expliquer. La mère abbesse de l’abbaye, licenciée en philosophie, dirige trente religieuses, âgées de 26 à 96 ans. Pour elle, « entrer ici était un acte contestataire », à contre-courant des engagements politiques pris à la fin des années 1960, la dégageant « des affaires du monde » dont nous serions « esclaves ». L’une des jeunes sœurs rappelle, elle, la difficulté qu’elle eut à dire sa décision à ses amis – pourtant catholiques – et à sa famille : personne ne veut voir un proche s’enfermer au monastère. Une aliénation, un enfermement ? Sœur Anne-Claire prétend le contraire, soulignant une forme de liberté trouvée à Bonneval, qui n’est pas exempte de frustration et de désirs. Anciennement ingénieure, elle lâche en souriant : « J’ai envie de tout. De tout ce qui peut être bien de consommation, de la bouffe aux fringues en passant par les bagnoles ».
 

C’est la face cachée de l’abbaye éclairée par le caméra de Nicolas Gayraud ; il dévoile sous le voile d’austérité dont se couvrent les trappistines un cœur raisonnable plus qu’exalté, une réflexion plus qu’un credo aveugle, un engagement libre plus qu’un enrôlement. Ne pas avoir peur de douter et de remettre en cause la foi apparaît comme un « devoir ». Car, la « pleine raison humaine » ne serait pas faite pour être « mise dans la poche. » Alors, la liberté, le bonheur ? Ce sont quelques-unes des questions de fond soulevées quotidiennement par les sœurs. Elles suivent des enseignements philosophiques et consultent les textes – un des préceptes de saint Benoit : la lecture spirituelle. Elles intègrent ainsi les critiques « antichrétiennes » modernes et contemporaines – Kant, Nietzsche Sartre… – de la religion à leur foi, histoire de voir si leur « truc tient la route. Si c’est pas inventé tout ça ». Passé le clap de fin, les doutes demeurent. Une question n'est pas posée: fuir les servitudes contemporaines en se retirant du monde et refuser de prendre part à son déroulement, au nom de dieu, est-ce un engagement égoïste? Indivualiste? Le film ne prétend pas résoudre la question, ni tout filmer d'ailleurs. Le documentaire a eu les honneurs de Raymond Depardon ; et, sous bien des aspects, en effet, il emprunte au cinéaste son meilleur style.

Et la prière dans cette histoire ? Nous n’en verrons presque rien, la retraite des moniales ayant pour seul éclairage ce mot d’esprit d'André Breton, à propos de Saint-Cirq Lapopie, saisi par Nicolas Gayraud au détour d’une conversation : « J'ai cessé de me désirer ailleurs. »