Le souci du futur
Il y a quelques jours, Sven Ortoli a revu Soleil vert (en V.O., Soylent Green, mais la traduction littérale, “Soja vert”, eût été moins poétique). C’est un film de Richard Fleischer – adapté du roman de 1966 de Harry Harrison, Make Room! Make Room! – sorti en salles le 19 avril 1973. Il y a cinquante ans. C’était hier. Il marque l’irruption de la conscience écologique dans le cinéma hollywoodien. L’avenir (l’action se déroule à New York en 2022) y est suant, affamé, surpeuplé et déshumanisé…
« Je résume [attention, divulgâchis !]. Le film commence par un montage digne du documentaire Une vérité qui dérange avec, en accéléré, la transformation de la planète par l’industrialisation. Il se poursuit avec l’enquête menée sur l’assassinat d’un riche politicien par un officier de police, joué par Charlton Heston, et son vieux colocataire érudit – dans ce futur, l’analphabétisme est la règle – interprété par Edward G. Robinson. La mort de cet important personnage leur fait découvrir comment dans ce monde où l’euthanasie est en open bar, une multinationale géante et sans scrupules recycle les cadavres pour en faire des tablettes nutritives, le soylent green.
Tout récit de science-fiction projette dans le futur les espoirs, les inquiétudes et parfois les fantasmes de son présent. Tout ce qui se balade en filigrane de son époque. Soleil vert n’échappe pas à la règle, sauf que le film n’offre pas la moindre pincée d’espérance. Restent les peurs.
1) Celle de l’effondrement. Inéluctable, affirme le rapport Meadows publié par le club de Rome en 1972, si rien n’est mis en œuvre pour stabiliser la population et la croissance industrielle. D’où un appel à la “croissance zéro”.
2) Celle des pénuries à venir. René Dumont, premier candidat écolo à l’élection présidentielle de 1974, brandit un verre d’eau à la télévision en affirmant : “Nous allons bientôt manquer d’eau.” Et tout le monde rigole de ce vieux bonhomme en pull-over rouge.
3) Celle d’un capitalisme absolu, prêt à intégrer le corps humain dans son économie. Comme le dénonce à l’époque le sociologue suisse Jean Ziegler : “L’homme d’Occident appartient désormais au cannibalisme marchand.”
Notre 2023 ne ressemble pas à celui de Soleil vert, et nos peurs se sont aiguisées et transformées. Dans les années 70, on pouvait encore parler du réchauffement climatique comme d’un événement – Bergson le dit de l’imminence de la guerre (avant 1914) – qui “nous apparut tout à la fois comme probable et comme impossible”. Aujourd’hui, nous savons. Mais si le film nous remue encore, c’est parce qu’il témoigne à sa manière du cri du cœur poussé par Sol, le vieil homme qui va choisir l’euthanasie plutôt que de vivre dans un monde aussi inhumain : “Mon Dieu, comment en sommes-nous arrivés là ?”
À l’été 1973, Jan Patočka répond à cette question dans un séminaire, “Platon et l’Europe”, où il invoque les conclusions du club de Rome et la possibilité d’un “effondrement économique d’une ampleur inouïe dont le résultat ne pourra être qu’une planète sans société humaine, un retour aux cavernes”. Que peut la philosophie, demande-t-il en substance, face à ces menaces ? “Comment concevoir de nouvelles espérances ? de manière à nous permettre de ne pas désespérer de l’avenir, sans que pour autant nous nous abandonnions à des rêves illusoires ni sous-estimions la dureté et la gravité de la situation qui est la nôtre ?” Comment, en effet ? L’homme, dit Patočka, doit faire du souci de l’âme le projet de vie de l’Europe. L’âme, c’est-à-dire selon la philosophie grecque, “ce qui en l’homme est capable de vérité”. Pas sûr que ça suffise à éviter la fonte des pôles, mais au moins, c’est beau. »
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