Avons-nous raison d’avoir peur ?

Alexandre Lacroix publié le 11 min

J’ai peur. Vous avez peur. Nous avons peur… Nous vivons, semble-t-il, à une époque où la hausse tendancielle du niveau de la frousse fait loi.

 On va droit dans le mur, vous ne croyez pas ? Regardez l’état des glaces de l’Arctique. La convalescence de l’économie mondiale. Le spectre des pandémies. Les guerres qui embrasent la planète. Les bouffées de violence urbaine. Les OGM, le clonage, les ondes électromagnétiques, etc. Un climat millénariste s’est insidieusement installé dans la décennie qui a suivi la chute du mur de Berlin, en 1989. De ce point de vue-là aussi, cet événement marque un point de bascule.

Avant, c’est-à-dire durant la guerre froide, la peur demeurait une émotion relativement simple, car nettement polarisée. À l’Ouest, on entretenait la peur du Rouge. À l’Est, on stigmatisait l’impérialisme yankee et on diabolisait le Grand Capital. Cependant, même à l’apogée de cette confrontation, durant la crise des fusées à Cuba en 1962, quand la planète a frôlé l’embrasement atomique, la peur était tournée vers un ennemi clairement identifié. Depuis… la mondialisation s’est refermée sur elle-même et la violence a changé de nature. L’ennemi n’a plus de visage. Il n’y a plus de blocs, mais des flux – d’informations, de personnes, de marchandises. Et le « système » semble s’être pris au piège de son propre emballement, de son ivresse de pouvoir. Comme l’écrivait Jean Baudrillard dans l’un de ses ouvrages les plus polémiques, Power Inferno (2002), au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, « le système lui-même, par l’extension spéculative de tous les échanges, la forme aléatoire et virtuelle qu’il impose partout, les flux tendus, les capitaux flottants, la mobilité et l’accélération forcée, fait régner désormais un principe général d’incertitude que le terrorisme ne fait que traduire en insécurité totale. » Ainsi, nous redoutons l’imprévu fatal, l’accident susceptible de gripper la machine, de provoquer par effet domino un effondrement généralisé. Si la guerre froide est terminée, nous vivons à l’heure de la « violence du mondial », pour le dire dans les termes de Jean Baudrillard – « violence d’un système qui traque toute forme de négativité, de singularité, y compris cette forme ultime de singularité qu’est la mort elle-même »

 

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