“Le recours au feu comme arme est inhérent à la protestation populaire depuis le Moyen Âge”

Dans les rues de Paris, et d’autres grandes villes françaises, les manifestations laissent dans leur sillage des poubelles brûlées. À Bordeaux, le porche de la mairie a été incendié. Dans un autre contexte de lutte, à Sainte-Soline, trois véhicules de gendarmeries sont partis en fumée. Le feu, une arme de protestation ? Ce n’est pas nouveau analyse l’historien Jean-Claude Caron, auteur des Feux de la discorde (Hachette, 2006).

Les mouvements actuels contre la réforme des retraites sont marqués par des images de feu. Est-ce nouveau ?

Jean-Claude Caron : Non, le recours au feu comme arme est inhérent à la protestation populaire depuis au moins le Moyen Âge et l’incendie de châteaux lors de jacqueries. Moyen de protestation contre les grandes transformations des modes de production agricole, outil d’opposition aux politiques fiscales, arme mobilisée dans les conflits entre pauvres et possédants : il joue tous ces rôles à la fois mais demeure l’arme ultime comme lors de la Grande Jacquerie de 1358. Grâce aux chroniques de Froissart, on voit ainsi comment la conjonction de maux successifs ou concomitants (peste noire, guerre de Cent Ans, pression fiscale, mauvaises récoltes…) amène les paysans du nord de la France à un violent soulèvement au cours duquel nombre de châteaux ou de demeures nobiliaires sont brûlées et leurs propriétaires assassinés. Plus largement, la tentation de recourir à l’incendie pour résoudre un conflit de voisinage est fréquente, même si pas unique : on peut aussi couper des arbres fruitiers, mutiler du bétail, saccager des champs… Mais le feu, par sa propagation rapide et la faiblesse des moyens pour le combattre, peut anéantir un village entier. Sa présence dans les sociétés est, cela dit, bien plus large. C’est aussi une arme de guerre, un châtiment réservé à des catégories de personnes condamnées par la justice (hérétiques, comme Jeanne d’Arc, mais aussi les Juifs, les cathares, les protestants, les sorcières, les sodomites, ainsi que les régicides dont Ravaillac) ou contre des objets (autodafés de livres). L’un des épisodes les mieux documentés est la Grande Peur de juillet-août 1789 au cours de laquelle les paysans révoltés brûlent des châteaux et des terriers, recueils où étaient consignés les droits féodaux auxquels ils étaient assujettis.