Le Pape François plaide pour une France plus laïque

Français, encore un effort si vous voulez être laïcs ! Voici en substance la recommandation du pape François à la délégation de catholiques français venus le visiter à Rome, mardi 1^er mars.

Lors de cette visite menée par Les Poissons roses, un mouvement proche du Parti socialiste, créé en 2011 dans les pas d'Emmanuel Mounier et des philosophes Emmanuel Levinas, Paul Ricœur et Hannah Arendt, le Souverain précise : « Une laïcité saine comprend une ouverture à toutes les formes de transcendance, selon les différentes traditions religieuses et philosophiques. »

Attention, pas de méprise ! Si comme François le croit « la France doit devenir un État plus laïc », c’est selon lui qu’elle serait incomplète. « Une critique que j'ai envers la France, ajoute-t-il, est que la laïcité résulte parfois trop de la philosophie des Lumières, pour laquelle les religions étaient une sous-culture. La France n'a pas encore réussi à dépasser cet héritage. »

Traité sur la tolérance

Or quel est-il, au juste, cet héritage ? Avant d’être français, il est anglais. John Locke (1632-1704) est en effet l’un des premiers après Thomas Hobbes à défendre, suite aux guerres de religions, la séparation de l’Église et de l’État dans sa Lettre sur la tolérance (1689). Selon lui, la croyance ne dépend pas de la volonté et elle échappe donc à l’autorité politique: « le soin des âmes ne saurait appartenir au magistrat civil ».

En France, Voltaire (1694-1778) remet la question de la tolérance sur le métier et il ouvre la voie à la laïcité. Comme l’explique Philippe Raynaud, en spécialiste du libéralisme et de la pensée républicaine : « Voltaire est un polémiste génial, d’autant plus efficace dans le Traité sur la tolérance que, contrairement à ce qu’il fait dans d’autres œuvres, il s’attache à convaincre les croyants ou du moins à ébranler leurs certitudes sans attaquer de front leur dogme ou leur culte. Il s’adresse à eux comme à des hommes de bon sens, susceptibles d’entendre la voix de la raison naturelle. C’est bien là ce que souhaitent ceux qui invoquent Voltaire pour défendre la “laïcité” ou la liberté de penser ».

Car la laïcité à la française, formalisée ensuite légalement par la séparation de l’Église et de l’État dans la loi de 1905, n’est ni l’athéisme ni le contraire de la religion ni l’irréligiosité. « La laïcité ne porte pas sur Dieu, mais sur la société, précise André Comte-Sponville dans son Dictionnaire philosophique. Ce n’est pas une conception du monde ; c’est une organisation de la Cité. […] L’essentiel tient en trois mots : neutralité (de l’État et de l’école), indépendance (de l’État vis‑à-vis des Églises, et réciproquement), liberté (de conscience et de culte). »

Deux principes indissociables

Fervente républicaine marquée par une première vie de professeure de lycée, la philosophe Catherine Kintzler, s’attache elle aussi à Penser la laïcité. De cet effort, elle a fait le titre d’un livre s’attelant à une théorie générale, défendant le modèle français. Il repose, selon elle, non seulement sur un principe négatif de neutralité de l’État à l’égard des conviction mais aussi sur « un versant positif : le libre affichage de toutes les convictions et la libre discussion dans l’espace de la société civile. […] La laïcité n’interdit absolument pas aux individus d’exprimer publiquement leurs croyances et leurs identités. Les cloches sonnent dans nos villages, les femmes musulmanes qui le souhaitent sont libres de porter le voile dans la rue, et, sous réserve qu’elles ne mettent pas en question l’ordre public, les processions religieuses sont libres. Et si les signes religieux sont interdits à l’école publique, c’est parce que l’espace scolaire participe de l’autorité publique. La laïcité n’est donc pas dressée contre les religions, elle permet leur libre déploiement. »

Elle ajoute et résume dans un récent entretien : « Ce régime repose sur l’articulation de deux principes indissociables. D’une part, ce qui participe de l’autorité publique est tenu à l’abstention au sujet des croyances et des incroyances. D’autre part, partout ailleurs, y compris en public, c’est la liberté d’expression qui s’exerce, dans le cadre du droit commun. »

Ainsi, non seulement la tolérance défendue par les Lumières n’est pas fondamentalement hostile à toute forme de transcendance, comme le sous-entend le Pape, mais mieux : la laïcité à la française défend la neutralité des autorités publiques, qui permet précisément le « libre déploiement » des religions. Bref, la France n’a certes pas abandonné son précieux héritage philosophique et politique, dieu merci !